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Un mauvais français (Les pyrosis d'Emilio Campari)

 Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

de notre correspondant spécial à Cannes, Emilio Campari, le 20 Novembre 2009,


Cette semaine : Un mauvais français

    Un ami m'ayant confié un pénible secret sur le ton de la confession je me fais un devoir, foi de pilier du Vatican, d'en révéler au plus vite le contenu. Si certain lecteur éprouve à l'instant même une impression de déjà lu, ses sens ne le trompent pas ; j'ai en effet décidé de me lancer dans un genre très en vogue quoique très ancien, le plagiarisme, mouvement littéraire qui évoque les criques abritées de ces îles tropicales flottant sur des eaux turquoises où jamais je n'irai tremper l'extrémité d'un orteil. Reste à deviner qui m'a inspiré cette entrée en matière : c'est simple comme parcourir la lettre B du Larousse en dix volumes.

    Cet ami se trouve un soir dans la compagnie de gens d'autant mieux informés qu'ils génèrent les prototypes de l'information. J'entends par là des propositions qui seront reprises, répercutées, commentées, nécessairement par tout véhicule de l'information - journaux, télévision, radio, publicité, littérature, enseignement... Ce qui réunit cet aréopage est un débat entre un sergent-chef de l'industrie de la presse - celle qui crie comme un goret que le web l'égorge, réclamant qu'on la subventionne et qu'on lui confie des campagnes publicitaires en cachant que le nombre de quotidiens publiés a cru de treize pour cent en dix ans - et celui que l'on nomme métonymiquement la plume du président. Le premier vocifère, son interlocuteur murmure. Celui-ci tente vainement de construire un peu de raisonnement, son adversaire n'a qu'une idée en tête : parler de ce qui lui rôtit la langue. Car l'actualité est brûlante pour le sous-officier éditorialiste. Plus que l'identité nationale qui a placé mes amis français au bord de la guerre civile (exercice qu'ils pratiquent entre deux et quatre fois par semaine), plus que du pacte républicain, sujet qui me fait mourir de rire ( cet écho pitoyable du Contrat social de ce malheureux Jean-Jacques ; je possède un fac-simile du livre annoté par Voltaire, désopilant), plus que la succession des invraisemblables fièvres affectant le plus haut niveau du pouvoir ( un accès hebdomadaire en moyenne, au rythme de parution de Paris-Match, du Canard Enchaîné et de Marianne, d'où notre proposition de l'appeler désormais la fièvre septe), notre impétueux postillonneur n'avait de cesse que d'amener son vis-à-vis sur son terrain favori : celui du chien écrasé, de la crotte sur laquelle glissera le vieillard. Ce soir-là, c'était la main de Thierry Henri.

    La main de Thierry Henri est un geste grâce auquel l'équipe de France est sélectionnée pour la coupe du monde qui se déroulera en Afrique du Sud en 2010. Mon ami français s'en félicite. Non pas de la sélection, il se soucie du football comme d'une guigne. Personnellement, j'y tiens comme à une institution qu'il faut absolument maintenir telle l'Église car sinon que ferait-on de ceux qui s'y rendent avec dévotion chaque semaine. Mais de la main elle-même, en tant qu'elle est un symptôme évident d'une affection dégénérative chronique affectant non pas les footballeurs - qu'il soit entendu une fois pour toute que Thierry Henry est certainement un sympathique milliardaire - mais la démocratie à la française, dont l'observatrice la plus attentive, la première dame de France, à énoncé publiquement le principe tout en finesse : le
pas vu-pas pris.

Thierry Roland à Roncevaux

    Mon ami se réjouissait des cris d'orfraie d'une grande partie de l'opinion réclamant un beau geste de la part de l'Équipe de France - messieurs les Irlandais reprenez de grâce cette qualification dont nous vous avons honteusement privés. Cette clameur chevaleresque, il n'ignorait pas ce qu'elle devait à un certain réalisme : renoncer au Cap, signifiait non seulement s'épargner la vergogne d'une prompte élimination dès le premier tour, mais aussi éviter les commentaires hallucinants du psychotique propulsé au rang d'entraîneur, mais encore économiser en ces temps de disette les frais astronomiques d'un déplacement massif de tout ce que son pays compte de professionnels du ballon rond.

    Or mon ami n'aurait pas dû afficher sa satisfaction, que je pensais de l'ordre de celle du médecin constatant qu'après avoir émis un diagnostic un peu pessimiste, son traitement n'a pas tué son patient, et que ce dernier va même un peu mieux. Ne pas accepter comme un bienfait du ciel (je pense à la main de Dieu de cette canaille argentine déifiée par les aficionados du foot et dont le nom m'échappe) cette entourloupe qui vous vaut de la part du peuple irlandais une haine pour l'instant réservée aux doryphores et aux anglais, lui coûta une sentence d'autant plus terrible, que je la sentis juste. Comme le condamné entendant le chuintement du couperet choir sur son col dénudé, se dit finalement je l'ai bien cherché. Cette phrase terrible est, mot pour mot : tu n'aimes pas ton pays.

    Le bras armé de la justice, l'entretien du
tranchant de son glaive, est désormais l'affaire des journalistes. L'appareil judiciaire est-il trop lent, l'article de l'hebdomadaire sera expéditif. Tu n'acceptes pas le principe  du pas vu-pas pris ? Tu n'aimes pas ton pays. Tu refuses de t'associer à la liesse d'une foule censée représenter le peuple de France, tes compatriotes, unis dans l'adoration d'un même symbole ? Tu n'aimes pas ton pays. Cette phrase résonne encore à mes oreilles, comme un principe du méchant Sartre, tu es condamné à devenir homme, i.e à être libre, sinon tu es de mauvais foi et éventuellement même un salaud. Certes, il faut que je l'admette, j'éprouve une certaine lassitude à compter, semaine après semaine, les raisons pour lesquelles votre pays est la risée du monde. Je suis convaincu que vous êtes le pays le plus visité parce que les étrangers veulent, pendant leurs vacances, rire un bon coup. Existe-t-il au monde un pays dont on se moque systématiquement ? On déteste les États-Unis, l'Iran, la Corée du nord ;  on trouve les uns balourds, les autres snobs, on reproche leur accent aux Belges ou leur cuisine aux Norvégiens. Mais quel pays est-il régulièrement et universellement bafoué pour son ridicule, en dehors du votre ?