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La papaye du pape (Les pyrosis d'Emilio Campari)

Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

De notre envoyé spécial à Pnhom Penh, Emilio Campari  :  La Papaye du Pape


    J’ignore tout des lois subtiles de votre pays sinon qu’elles sont innombrables et l’on m’a fait remarquer que la prudence n'était pas mon fort. Je m’en voudrais que www.neuroland.biz  soit fermé par ma faute. Cependant je me dois de rester fidèle à ma devise - non pas l’euro mais la phrase qui mise à l’imparfait sera mon épitaphe et en attendant figure au frontispice de ce Website. La raison de ma colère d’aujourd’hui n’est pas tant la piètre qualité de la bière cambodgienne dont un patient à la reconnaissance douteuse vient de m’offrir un pack de canettes maigrichonnes, qu’un manque d’inspiration terrible consécutif à une indigestion de cerises à l’eau-de-vie. Par bonheur j’ai retrouvé un petit texte que j’avais commis il y quelques années, à propos d’un délit majeur dont chacun a pu être le témoin tant la presse s’en fit l’écho.

    Selon vos coutumes, un médecin ne peut révéler quoique ce soit au sujet d’un patient sans être passible illico d’une radiation définitive. C’est si vrai qu’il y a peu, un malheureux fut privé du droit d'exercer son art, au motif qu'il avait révélé qu’un défunt président de la république arrivé au pouvoir suprême nanti d’une néoplasie dûment diagnostiquée, avait nonobstant fait communiquer pendant l’essentiel du temps de son règne des bulletins d'une santé parfaite. On ne semble pas badiner avec le secret professionnel par chez vous, fut-il transgressé à titre posthume et pour rectifier une entorse faite à la vérité.

    Or j’ai bien entendu clairement l'un de vos médicastres, de ces ténors qui ne peuvent rester loin des caméras et des micros sans éprouver une sorte de syndrôme abandonnique, afficher le traitement qu’il avait administré au pape, celui qui fut frappé comme chacun le sait par la maladie de Parkinson ; ce pape-ci n’étant alors pas même trépassé, et ce médecin-là pas même neurologue.

    Nous appelons une ordonnance, nous autres transalpins, una ricetta : quel joli mot, qui signifie bien plus que ce jacobin substantif, ordonnance, fut-il féminin comme la république. Chez vous le médecin serait un aspirant à la totipotence, chez nous une sorte de cuisinier artiste. Dans la ricetta, pardon l'ordonnance rédigée à l'intention de Jean-Paul II, chacun a pu lire qu'on lui recommandait les attendrissants extraits de la papaye fermentée, puissant antioxydant dit la rumeur webienne, capable de renforcer nos défenses lorsqu'il s'agit de lutter contre le stress oxydatif. Et voilà que la papaye confite débarque du Cambodge, un pays dont l'exceptionnelle espérance de vie est bien connue. On aura remarqué la prévention dont je fais preuve à l'égard de la papaye : on pensera que j'exagère, mais ma chère Constance est prête à témoigner de l'effet dévastateur qu'eût un cocktail préparé à partir de ce fruit étrange sur mon capital dendritique. Le nom de ce breuvage déjà faisait frémir : le gluon, mélange de jus de papaye, de rhum blanc, de passoa ( liqueur de fruits de la passion ) et de sirop d'ananas.

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Arnoldus Montanus, De nieuwe en onbekende Weereld... (Amsterdam, 1671) l'arbre à papaye


   
    Le plus remarquable, au sens où l'on peut trouver remarquable la reprise d'un conte d'Andersen au pays des gardes suisses,  est que l'on ait réussi à faire croire au monde entier que Jean-Paul II, dont l'état se dégradait inexorablement, allait mieux. S'être servi du courage d'un homme pour faire monter les actions des vendeurs de papaye ( qui ont inondés le marché italien en particulier ) en rejouant Les habits neufs de l'empereur et en s'appuyant sur une allitération triviale, aurait mérité à mon humble avis et dans l'esprit de tolérance qui me caractérise, au minimum et à l'aune de ce qui a été infligé au médecin du président sus-cité, une exposition en place publique, une bastonnade, l'expédition sans retour à Cayenne avec place réservée, ni hublot, ni couloir, sur le dur banc mal équarri d'une galère.