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Marat et l'arc-en-ciel (Chroniques de l'arc-en-ciel -VIII De Newton à Goethe)


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 Jean Paul Marat (1743 - 1793)
Portrait par  Joseph Boze (1744-1826)
Musée Carnavalet

Un concours de mémoires à l’Académie des sciences de Montpellier


     Jean-Paul Marat (1743-1793) est encore de nos jours l’objet d’une dévotion pour ne pas écrire d’une idolâtrie, non seulement comme figure révolutionnaire, victime symbolique de la contre-révolution incarnée par Charlotte Corday ;  mais aussi, en tant que médecin et homme de science. La lecture de son autobiographie pourrait sembler dès les premières lignes une bonne médecine pour guérir à jamais l’idée de lui porter la moindre sympathie, sans pour cela manquer au devoir de compassion ou au démon de la curiosité que ne manque pas d’inspirer un paranoïaque de cette envergure.

    Mais la fatuité poussée à son comble, le désir éperdu de gloire ; la haine implacable envers ceux dont il briguait le rang, à coups de diplômes véreux faisant d’un vétérinaire de campagne anglaise un médecin mondain londonien puis parisien, d’expériences truquées et de concours arrangés, de vaines demandes en vue d’obtenir un anoblissement ou un poste d’académicien à Madrid ; trouvent toujours, tant le sentiment de persécution est contagieux, quelque défenseur convaincu qu’un mauvais procès poursuit jusqu’après sa mort l’ami du peuple, celui qui promut la délation au rang de vertu républicaine.

    Vétérinaire donc en Angleterre, il obtient le titre de docteur en médecine de l'Université de Saint Andrew à Edimbourg grâce à quelques recommandations et au peu d’exigence de cette institution. Il fréquente dès lors la gentry, nanti d’une clientèle sélecte, résident d'un quartier chic de Londres où il publie Essay on gleets, sur le traitement des urétrites suivi de Essay on a singular disease of the eyes, sur la presbytie accidentelle.

    De retour à Paris, la guérison providentielle de la marquise de Laubespine délaissée par son époux et réconfortée dit-on par Marat, lui assure une réputation suffisante pour permettre l'inflation sensible de ses honoraires. Il devient médecin du Comte d'Artois, en 1777, après Lieutaud, Vicq d’Azyr et quelques fleurons de la médecine française. Auprès de son nouveau maître, il côtoie les gentilshommes les plus brillants de la Cour. En plus de ses talents de médecin, on utilise son goût de la polémique en lui faisant répondre aux attaques de presse et aux libelles dirigées contre son protecteur.

    Il songe alors à se faire anoblir. Allant jusqu’à écrire au juge d'armes «...J'espère que vous ne refuserez pas mes armoiries voyant comme est assurée la noblesse de ma famille aux Espagnes tant qu'en France ».

    Il installe chez lui un cabinet d'expérience. Benjamin Franklin assista à une démonstration et fut, paraît-il, favorablement impressionné. Volta eut le malheur d’émettre quelques objections, il se fit insulter. De 1778 à 1783 ne craignant rien ni personne Marat s’en prend à la nature du feu, de l’électricité, et de la lumière. Lavoisier infirme ses théories sur le fluide igné, ses théories sur l’électricité sont proches de celles de Mesmer et il s’attaque à forte partie lorsqu’il entreprend de prouver que les théories newtoniennes sont fausses : l'Académie des Sciences nomme quatre commissaires, dont Condorcet, pour examiner ses expériences : leurs conclusions sont désastreuses pour Marat, qui désormais voue une haine implacable à l’endroit des académiciens qui s’exprimera dans le pamphlet Charlatans modernes publié en 1791 et dans son autobiographie : « J'oserais me flatter de n'avoir pas manqué mon but, à en juger par l'indigne persécution que n'a cessé de me faire, pendant dix ans, l'Académie des sciences, lorsqu'elle se fut assurée que mes découvertes sur la lumière renversaient ses travaux depuis un siècle, et que je me souciais fort peu d'entrer dans son sein. Comme les d'Alembert, les Caritat, les Leroy, les Meunier, les Lalande, les La Place, les Cousin, les Lavoisier, et les charlatans de ce corps scientifique voulaient être seuls sur le chandelier, et tenaient dans leurs mains les trompettes de la renommée, croira-t-on qu'ils étaient parvenus à déprécier mes découvertes dans l'Europe entière, à soulever contre moi toutes les sociétés savantes, à me fermer tous les journaux, au point de n'y pouvoir même faire annoncer le titre de mes ouvrages, d'être forcé de me cacher, et d'avoir un prête-nom pour leur faire approuver quelques-unes de mes productions ? » (Journal de la République, N° 98.)

    Dans les Notions élémentaires d'optique où il établit que les couleurs primitives sont au nombre de trois, il ébranle la conviction de quelques newtoniens. Les divergences d'opinion engagent trois Académies de Province à réexaminer le problème : des concours sont organisés à  Lyon : Déterminer si les expériences sur lesquelles Newton établit la différente réfrangibilité des rayons hétérogènes sont réelles ou illusoires ; à Montpellier en 1787 : Concours sur l'explication de l'arc-en-ciel , à  Rouen : Les vraies causes des couleurs que présentent les lames de verre, les bulles d'eau de savon et les matières diaphanes très minces.

    Quelques années plus tard dans l’Histoire des mathématiques de Montucla, Lalande écrit « il manquait sans doute à la satisfaction de l’auteur (Marat) de voir ses prétendues découvertes sanctionnées par le jugement d’une compagnie savante. Il engagea Monsieur le duc de Villeroy à remettre à l’académie de Lyon dont il était protecteur une médaille d’or de 300 livres pour un prix extraordinaire ». Dans son hommage à Jean Sylvain Bailly (mathématicien, il eut le malheur de prendre la défense de Marie Antoinette lors de son procès ) lu à l’Académie des Sciences, Arago accuse ouvertement Marat d’avoir par ses attaques déstabilisé celui-ci et rappelle comment un newtonien, Faubergues, l’emporte à Montpellier. Mais le mémoire de Marat est couronné à Rouen ; dans la même Académie en 1788 il est lauréat pour son mémoire consacré à L'électricité médicale ce qui l’expose infortunément un peu plus aux accusations de charlatanisme dont il est l’objet depuis le début de sa carrière.

    On lui fait miroiter un poste de directeur de l’Académie des Sciences madrilène. Le projet échoue. Il quitte sa charge de médecin du Comte d'Artois. Entre temps il a publié en 1787 une traduction de l’Optique de Newton (rééditée par F. Balibar, Bourgeois, Paris, 1989). La suite est mieux connue. La survenue opportune de la Révolution de 1789 le sauvera d'un effondrement  moral, physique, financier, jusqu’à ce que  « l’Ami du Peuple » succombe sous le couteau de Charlotte Corday. 

    Les Découvertes de Monsieur Marat, docteur en Médecine et Médecin des gardes du Corps de Monseigneur Comte d’Artois sur la lumière constatées par une suite d’expériences nouvelles sont publiées en 1780. Marat y expose sa nouvelle théorie de la lumière dont le concept central est exposé dans le chapitre périoptrique : définie comme l’étude de l’attraction exercée sur les rayons lumineux par les corps. Marat fait intervenir « la déviation des rayons parvenus au voisinage du prisme, attirés par la masse du corps. » Mais les couleurs sont déviées différemment, donc l’angle d’incidence n’est plus le même ce qui provoque la dispersion des couleurs, la réfrangibilité étant  identique pour toutes les couleurs. Les rayons hétérogènes les plus déviables sont les jaunes, les moins déviables les bleus.

    Grimaldi avait introduit une notion, la diffraction, que Newton avait considéré comme un cas particulier de la réfraction et qu’il avait dénommée inflexion. Hooke avait lui-même tenté de développer le concept sans cependant parvenir au même niveau que Grimaldi. Marat, l’oeil et l’ami du peuple, décrit la déviabilité, opposée à la réfrangibilité de Newton. Marat concède que la lumière est décomposée seulement par la voie paraoptrique par ce qu’on appelle inflexion, et la réfraction n’y ajoute rien d’autre que de rendre le phénomène important.

    « Quelques corps que vous présentiez aux rayons du soleil, toujours l’ombre sera environnée d’une raie de lumière plus vive à la partie externe que le fond du tableau ». Le chapitre s’achève sur l’axiome : tous les corps attirent la lumière. Plus loin, démonstration est faite que « Tous les corps décomposent la lumière en l’attirant ». (p.30).

     Comment se forment les couleurs du prisme ? « la lumière se décompose toujours au bord des surfaces et jamais en les traversant ». Les couleurs primitives sont le jaune, le rouge et le bleu ; car quelque corps isolé que l’on expose aux rayons de lumière, lorsqu’ils paraissent se décomposer on ne parvient à observer que ces trois couleur différentes. Il contredit Newton : les rayons hétérogènes sont tous également réfrangibles. Mais comme certains après Newton, il fait des couleurs du prisme et de l’arc-en-ciel le canon de sa théorie des couleurs.

    En toute modestie et sans la moindre référence à Grimaldi ni à Hooke Marat conclut : « comme jusqu’à moi les vraies couleurs primitives étaient inconnues, l’art n’a pas cherché à les imiter ».

    La théorie de la vision de Marat n’a rien d’original : les couleurs consistent en de simples impressions de la lumière sur l’organe de la vue ; car la lumière elle-même ne comporte aucune couleur. Chaque rayon de lumière est composé de trois sortes de rayons, l’une produit la sensation du jaune, l’autre celle du rouge, la troisième celle du bleu. De leurs différentes combinaisons résulte un grand nombre de sensations composées. 

    Goethe écrira dans la Théorie des couleurs « nous maintenons que Marat avait amené avec beaucoup de subtilité et de talent d’observation la théorie des couleurs, qui surgissent lors de la réflexion et de ce qu’on appelle inflexion ». Bel hommage de la mégalomanie à la paranoïa.

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