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Les dix mon commandant (Les pyrosis d'Emilio Campari)

Sa plume trempée dans l'éthanol n'épargne personne et n'engage que lui

De notre correspondant spécial à Saint Petersbourg, Emilio Campari

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   Parfois je me laisse entraîner par ma chère Constance elle-même poussée par mademoiselle Mumu dans les sentiers des parcours fléchés. À la perspective d'une bonne bouteille de Vodka scandinave - au pays des soviets je ne bois que de la suédoise - Constance m'oppose la perspective Nevsky au terme de laquelle se trouve le musée de l'Ermitage. Tu ne vas quand même pas me fait-elle avec une moue crispée, ce genre de spasme labial destiné à ne durer qu'un instant mais s'avère indélébile comme celui des femmes de Lelouch lorsqu'il fait vraiment frisquet. J'avais dans l'esprit la traversée quelques heures auparvant, au petit matin, du pont qui traverse la Néva gelée : je trouvais celà très beau, cette masse blanche immobile et luisante sous les réverbères ; et serais resté à attendre le dégel - c'est dans deux mois me précisa Constance au moyen d'un petit nuage de buée -  lorsque je me rendis compte que quelque chose clochait dans ma perception : cette étendue blanche que je croyais immaculée était constellée de points noirs. Après d'intenses efforts de mise au point pupillaire, j'identifiais une myriade de culs de bouteilles de bière dont le col était fiché dans la glace.

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    J'en étais là lorsque je me retrouvai déambulant dans les couloirs de la galerie française. Arraché à mes pensées amères par ma vision périphérique qui repère inconsciemment des termes significatifs relativement à mon lexique, je risquai un coup d'oeil sur les cimaises. Mon systême colliculaire avait identifié va savoir comment - j'espère que Sémir Zéky ne lira pas ces lignes, il en ferait une attaque - le mot Champaigne. Enfin je suppose qu'il avait vu Champagne et je - moi, celui qui croit être aux manettes de cet engin mou placé dans ma boîte crânienne - avait rectifié en percevant le i. Et en intégrant ce mot au contexte - le musée, l'histoire de la peinture française, la conférence de Kullmann sur la Tulipomanie, etc ... Je lève donc les yeux et je tombe sur

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Philippe de Champaigne (1602-1674) Moïse et les tables de la Loi c.1648
Musée de l'Ermitage Saint Petersbourg


    Cette version de Moïse présentant les tables de la Loi est l'une des plus réalistes que je connaisse : le patriarche ne tient pas les blocs de pierre à bout de bras comme Charlton Heston se prenant pour un athlète de fête foraine, les tables lourdes ne sont pas écrites en hébreu mais en français, ce qui est bien pratique, et l'essentiel du texte est accessible au lecteur. Le seul petit problème pour le francophile non francophone que je suis, est cette manie qu'avaient les sculpteurs depuis l'antiquité romaine de faire des u comme des v, il ne manquerait plus qu'ils fassent des s comme des f.

    Je lus les dix commandements. Je les connais - je les ai sans doute même appris dans une vie antérieure. J
’ai pris conscience d’une évidence qui m’avait échappée : si l’on a pris la peine, il y a quelques trois milliers d'année, de graver ces fameuse tables de la loi, c’est qu’il s'avéra sans doute nécessaire de mettre les points sur les i et les barres sur les t : il était impératif de préciser un certain nombre de principes qui paraissent à certains d’entre nous – plus beaucoup - élémentaires : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas piquer la femme de son voisin, respecter ses parents …. J’imagine rapidement l’état de la société dans laquelle une telle loi est énoncée : on y vole, on y tue, on y met ses parents à la rue ; tient, elle ressemble à la notre, où l’adultère, l’oubli des vieillards, et le vol ne sont plus considérés comme des crimes. L'assassinat demeure malgré tout encore réprimandé. Le garçon qui met le feu à la jeune fille qui l’a éconduit a fait une «  grosse bétise », tout comme les gamins qui ont brulé un bus et son occupante trop gourde pour s’être extraite à temps du brasier.


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Cornelis Corneliszoon van Haarlem (1562-1638)

    En réalité, avant les dix commandements, il y avait déjà les sept lois noachites. On en trouvera le détail dans les chroniques de l'arc-en-ciel de Kullmann ( chapitre I : le sceau de l'alliance ). D'après Noé et ses descendants - les autres furent dans l'impossibilité de s'exprimer sur la question après le déluge - et
Cornelis Corneliszoon van Haarlem, l'humanité avant la colère divine n'était pas dans une situation reluisante. Pour s'en sortir fut inventée une déclaration des devoirs de l'homme, à sept lois, avant le décalogue.

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    Il y eut, au XVIIIème siècle, plusieurs tentatives de la part de quelques philosophes en marge des Lumières, mal éclairés sans doute, qui défendirent dans des textes oubliés la notion de droits et de devoirs de l’homme. Ils s’y prirent bien mal, et vous vivez désormais dans la conviction que leur seul fait de naître vous confère un nombre croissant de droits ; le nouveau-né poussant son premier vagissement ne clame plus son indignation d’être sorti du sein douillet de sa mère, mais réclame derechef quelques primes, allocations et subventions au motif qu’il existe. La déclaration universelle des Droits de l'Homme, cette pétition pleine de bonnes intentions a permis le développement d’une société de soixante millions de victimes potentielles, dès lors qu’elles viennent au monde, et même auparavant si l’on considère quelques affaires récentes. Sans doute n'est-ce pas criticable, chers voisins, puisque les méthodes précédentes, à sept ou à dix lois, ont échoué.

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Paul-Henri Thiry Baron d'Holbach  (1723–1789) Les devoirs de l'homme fondés sur sa nature