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Démence et créativité II, Benoit Kullmann (Conférences Neuropsy)

Démence et créativité II

Benoit Kullmann

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Seconde réponse

Miller BL, Cummings J, Mishkin F, et al. Emergence of artistic talent in frontotemporal dementia.
Neurology 1998 ; 51:978-82.

    En quoi la démence affecte-t-elle un artiste ? Le bon sens vous conduit à penser, que vous soyez neurologue ou misérable : le malheureux est voué à perdre progressivement ses aptitudes, sa créativité comme sa technique. C'est effectivement le cas chez nos patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou d'une démence à corps de Lewy, et nous avons profité de l'occasion pour souligner quelques différences entre l'atteinte visuo-constructive de ces deux pathologies.

    Mais à côté de cette réponse frappée au coin du bon sens, Bruce Miller de San Francisco énonce une contre proposition, à propos de patients dépourvus de talents particuliers, dont les capacités artistiques vont se développer tandis que s'installent les symptômes d'une pathologie dégénérative affectant lentement les fonctions supérieures : depuis plus d'une dizaine d'années, il travaille sur l'émergence d'un talent artistique chez certains patients atteints d'une démence fronto-temporale. Un rappel de la définition de ce groupe nosologique très hétérogène nous semble nécessaire.

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Démences fronto-temporales

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Définition: condition anatomo-clinique associant troubles de la personnalité, troubles cognitifs, atrophie frontale et temporale
Selon les séries, de 3 à 20% des démences dégénératives
Troisième cause de démence après la maladie d’Alzheimer et la démence à corps de Lewy
Cause fréquente de démence dans la population présénile
Cas familiaux : entre un tiers et 40% des observations

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“Primary Progressive Aphasia (PPA) is a clinical dementia syndrome characterized by the gradual dissolution of language without impairment of other cognitive domains for at least the first two years of illness.”  (M.M. Mesulam, 1982, 2001)

Aphasie Non Fluence
2 : 1 male to female ratio
Âge moyen de survenue : 60.5 ans ( 17-81 ans )
Durée de la symptomatologie aphasique isolée : 5.1 années
( de 1,5 à 20 ans ) te Progressive

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Anne Adams

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Créer une oeuvre d’art demande l’usage de deux systèmes visuels différents, le What ventral et le Where dorsal pour suivre le dogme de Ungerleider & Mishkin 1982.     Le What ventral ( occipito-temporal interne et antérieur ) impliqué dans l'identification de l'objet et le Where dorsal ( occipito-pariétal ) impliqué dans la localisation et le mouvement par rapport à l'objet.

    Le système “what” ou perceptif débute dans le cortex visuel et se prolonge dans les gyri fusiforme et lingual, se projetant finalement dans l’amygdale et d’autres régions du lobe temporal antérieur. Lorsqu’un visage familier est visualisé ou imaginé le gyrus fusiforme s’active, cependant que les édifices familiers activent une région discrètement plus médiane incluant le gyrus lingual. (Gorno-Tempini et al. 2001). Un infarctus du gyrus fusiforme provoque une altération de la reconnaissance des visages.

  Goodale & Westwood (2004) on appelé ceci la dissociation entre la perception et l’action. Le système “what” ou perceptif débute dans le cortex visuel et se prolonge dans les gyri fusiforme et lingual, se projetant finalement dans l’amygdale et d’autres régions du lobe temporal antérieur.

    Le courant dorsal du “where” qui court du lobe occipital au lobe frontal est nécessaire pour créer la peinture ou la sculpture que l’artiste projette de réaliser. Pour un peintre, ceci requiert de placer le pinceau sur la place juste de la toile pour recréer sa vision, pendant que pour le sculpteur c’est le modelage d’une forme précise d’un matériau en un projet achevé qui utilise le flux dorsal. Le système d’action dorsal utilise l’information visuelle et coordonnes les lobes pariétal et frontal pour permettre à la personne de localiser visuellement et tactilement l’information. Une lésion bilatérale du courant dorsal, provoque un syndrôme de Balint qui comporte fréquemment une akinetopsia ( impossibilité de voire les objets en mouvement ) une ataxie optique ( inaptitude à localiser un objet par le toucher en dépit de la possibilité de le voir ) une apraxie optique ( inaptitude à diriger le regard vers un objet en dépit d’une capacité intacte à réaliser tous les mouvements oculaires et des champs visuels normaux ), et une simultagnosie ( impossibilité de reconnaître le tout en dépit d’une perception correcte des détails )(Smith et al. 2003) Un dysfonctionnement temporaire du flux dorsal  a conduit une artiste à simplifier des peintures visuellement riches en peintures qui capturaient seulement des petits morceaux d’un objet. Lorqu’elle récupéra sa vision normale elle généra à nouveau des images complètes.


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Des études de patients présentant une démence sémantique, il ressort que la région antérieure des lobes temporaux est le lieu où la signification est attribuée à ce que nous voyons (Williams et al. 2005). Les patients atteints de démence sémantique peuvent générer des peintures magnifiques -  en fait des copies - avec la partie plus postérieure du cerveau sans être capable d’attribuer une signification à ce qui a été peint. Par exemple, un patient peut peindre un oiseau, mais ne pas savoir comment le nommer, ni dire en quoi un oiseau diffère d’un autre animal   (Miller & Hou 2004).

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Notre patient, qui signe ses tableaux de la moitié de son prénom n'est cependant qu'un copiste : il n'a pas été très difficile d'identifier l'origine de ces deux oeuvres, une fois connue son admiration pour Monet  : Saint Georges Majeur, et un paysage avec un petit bateau. L'un d'entre nous devant la première oeuvre a évoqué Turner - si la chose avait été chronologiquement possible, effectivement on aurait pu croire à un Monet copié par Turner, et l'on se rappelle une exposition vénitienne réunissant au Musée Correr les oeuvres de Turner, de Monet, de Whistler.
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Nous avons assisté au Breakfast Seminar organisé par Bruce Miller lors de la réunion de l'AAN à Boston en 2007. Résumons un interview accordé par ce dernier récemment à propos de ces patients devenus artistes et déments :

- La plupart des patients concernés n’ont pas d’histoire familiale de DFT


Deux traits fondamentaux :

- ils manquent de sérotonine et sont amateurs de chocolat, de sucreries,

- certains développent consécutivement à ce manque de sérotonine un comportement compulsif contribuant à leurs productions artistiques et à leur amélioration

'Seul un petit pourcentage des patients DFT développent un talent visuel ou musical ; et plus particulièrement ceux chez lesquels la dégénérescence prédomine sur le lobe temporal antérieur gauche. Ce qui provoque une altération profonde de la signification du langage. Du coup, les aptitudes du lobe temporal postérieur et le lobe pariétal jusqu’alors réprimées par l’hémisphère dominant s’expriment. ( Miller utilise le terme bully, tyran ).

'Ces patients nous donnent une idée de ce qui se passe dans l’hémisphère droit, ils produisent un art totalement non-symbolique, non abstrait, non conceptuel. Ils produisent une image qui dépend de leur mémoire ou de leur imagination. Parfois ces images sont modifiées par l’intervention de fonctions de l’hémisphère gauche.'

The Chocoholic Whistler - Une patiente de Bruce Miller décida de se mettre à siffler, et à composer des poèmes essentiellement consacrés à son chien. Elle parvint à siffler des pièces classiques très complexes. Elle raffolait du chocolat. Aucun des morceaux qu’elle sifflait n’était inventé et la patiente n’avait pas franchement conscience de ce comportement singulier.

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    Je voudrais évoquer avec vous maintenant trois concepts : l'un séculaire, la diaschisis de von Monakow : l'autre tout récent, l'hodologie ou science des chemins ; le dernier est une vieille notion remise au goût du jour - illustrant comment le cognitivisme fait du neuf avec du vieux.

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    Voici quelques exemples ultra-simplistes de diaschisis au sens de Von Monakow : soit trois zones cérébrales - jaune, bleue, ocre - ; dont l'intégrité est nécessaire à l'exercice de trois fonctions -  A, B, C ; et qui sont liées par des faisceaux de fibres exerçant tantôt une action stimulante, tantôt inhibitrice, avec en particulier une rétro-action de B sur A que l'on appelera feed-back négatif : A stimule B qui en retour freine A ; il n'y aurait pas de fonctionnement biologique, en particulier pas d'homéostasie possible, sans ce système élémentaire de rétro-contrôle.

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Selon que l'on inhibe A, B, ou C, les conséquences à distance sont très variables : disparition d'une fonction, ou au contraire exacerbation. En réalité, il y a ici une idée parasite  contre laquelle s'élevait Von Monakow : la confusion de la lésion et de la fonction, qui lui était insupportable et le plaçait parmi les adversaires les plus absolus du localisationnisme, avec Pierre Marie et

Cependant si l'on imagine non pas une série élémentaire de trois " centres " mais un réseau de cinquante aires différentes, ou plus, placées en série ou en parallèle, combinant inhibition et stimulation, on peut se faire une vague représentation de la complexité des interactions à distance au sein du réseau.

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    Abordons maintenant une notion toute nouvelle, issue des techniques d'IRM fonctionnelle, la tractographie qui permet de visualiser les réseaux anatomiques de fibres blanches, et la science qui étudie leur développement et leur fonctionnement, l'hodologie.

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    Prenons l'exemple des voies visuelles, selon
le dogme de Ungerleider & Mishkin énoncé en 1982, distinguant deux systèmes visuels différents, le What ventral ( occipito-temporal interne et antérieur ) impliqué dans l'identification de l'objet et le Where dorsal ( occipito-pariétal ) impliqué dans la localisation et le mouvement par rapport à l'objet.

    Le système “what” ou perceptif débute dans le cortex visuel et se prolonge dans les gyri fusiforme et lingual, se projetant finalement dans l’amygdale et d’autres régions du lobe temporal antérieur. Lorsqu’un visage familier est visualisé ou imaginé le gyrus fusiforme s’active, cependant que les édifices familiers activent une région discrètement plus médiane incluant le gyrus lingual. (Gorno-Tempini et al. 2001). Un infarctus du gyrus fusiforme provoque une altération de la reconnaissance des visages.


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    William James a du frétiller d'aise dans sa tombe, cité trois fois ce jour, par Philippe Barrès, par Sandrine Louchart de la Chapelle, et enfin ici. C'est qu'il est l'inventeur un siècle avant tout le monde de la notion intitulée récemment l'inhibition latente.

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    Souhaitons nous une créativité conservée le plus tard possible. Celle que traque Bruce Miller chez ses patients atrophique fronto-temporaux gauche  n'est guère enviable, et limitée le plus souvent à une aptitude parfois surprenante certes à la copie. Le terme de créativité nous semble impropre, d'autant plus que ces patients, Anne Adams mise à part, n'ont le plus souvent aucune conscience de leur singularité, et leurs productions ne sont pas pensées. Terminons ce trop long exposé par une question posée à notre Monsieur Cinéma : qui est l'auteur de ce film ? Un indice : ce fut le premier long-métrage d'un metteur en scène connu mondialement. Merci pour votre patience.


Bibliographie

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