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La vierge de Stuppach (notre arc-en-ciel quotidien)

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Matthias Grünewald  (1475-1528)  Le retable de la Vierge des neiges (1514-1519
Stuppach, église paroissiale

    Mathis Gothardt Neithardt, plus connu sous le nom de Matthias Grünewald (1475-1528), est l’auteur du retable d’Isenheim (que l’on peut voir au musée de Colmar), commandé par les Antonins, ordre qui se consacrait aux soins des malades atteint du «mal des ardents» (maladie de l’ergot de seigle).

    En 1513 un notable de la cité d’Aschaffenburg lui commanda un retable pour la Chapelle de la Vierge des Neiges, réalisé entre 1517 et 1519. La Madone de Stuppach occupait le panneau central du retable, dont les autres éléments sont perdus, à l’exception d’un volet conservé à  Fribourg en Brisgau. Contemporain des peintres de l’École du Danube et de Dürer, originaire probablement de Wurzburg, Grünewald développe une utilisation particulière du contraste entre les zones d’ombre et de lumière – le chiaroscuro - et montre une prédilection pour les couleurs vives.

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    Dans le retable d’Isenheim, Grünewald utilise la gloire comme source lumineuse. Ici il reprend le procédé sous une forme atténuée : mais l’arc-en-ciel n’est plus associé à la mandorle ni à la figure du Christ en Majesté ; il est implanté dans le paysage, ancré dans les toits des maisons à gauche, disparaissant derrière la cathédrale à droite. Ses couleurs et leur disposition sont pour la première fois remarquablement conformes à l’ordre naturel : rouge à l’extérieur, puis jaune-orangé, bleu-vert, et enfin une teinte tirant sur le pourpre. Il est doublé, de manière réaliste, par un second arc externe, ébauché. Mais la forme même de l’arc est erronée. Sa composante surnaturelle est affirmée de deux manières : il est déployé au dessus de la tête de la Vierge Marie, comme une sorte d’auréole, bien que la précision de l’arrière plan ne laisse aucun doute (les détails du fond sont cependant moins nets que ceux du premier plan, les contrastes y sont moins violents, conformément au traitement de la perspective conseillé par Léonard de Vinci). D’autre part, sous l’arc une demi-sphère d’une luminosité éblouissante, moitié de soleil couchant ou de gloire, rappelle le panneau de la Résurrection du retable d’Isenheim, et produit un effet de contre-jour auquel échappe l’enfant Jésus dont la pâleur de nacre irradie et ricoche sur la main de la Vierge et les fleurs de lys. Sur la droite, derrière la Vierge, se dresse une cathédrale gothique, la cathédrale de Strasbourg, symbolisant la Jérusalem céleste ; quelques paroissiens en gravissent l’escalier. A gauche, les contours d’une ville, sur fond de reliefs montagneux dont les plus élevés sont enneigés, à demi masqués par des claies où sont entreposées des meules de fromage ; quelques nuages les surplombent, qui ne sauraient justifier météorologiquement la présence d’un arc-en-ciel. La nuée se condense en une niche ouatée et lumineuse où les anges virevoltent autour de Dieu le père.

    La madone de Stuppach est rousse, comme son fils Jésus ; leurs chevelures sont imprégnées de la lumière qui émane du fond du tableau. Au vêtement près, beaucoup plus riche dans la madone de Stuppach, la Vierge et l’Enfant ressemblent à s’y méprendre à la Vierge du retable d’Isenheim. La Vierge souriante offre un fruit, figue, grenade, coing ou petite pomme rouge, à l'Enfant Jésus rieur dont les cheveux nimbés de lumière paraissent une auréole roussoyante. Aux ondulations de la chevelure de la Vierge répondent les plis travaillés de la lourde robe de brocard. La végétation alentour est constituée de fleurs de lys et de roses symbolisant la virginité ; un arbuste s’enracine dans l’angle inférieur droit. Sur le sol sont posées une cruche, une cuvette. Si les symboles sont légions derrière les fleurs, les objets, leur organisation dépend du geste délibéré du peintre, et demande au spectateur non plus un simple décomptage afin de vérifier que tout est bien en ordre, mais un effort d’imagination, devant une composition originale dont le code est secrètement détenu par l’auteur.

    Comparativement à la thématique habituelle de Grünewald, si tant est qu’on puisse la définir à partir des treize tableaux de sa main qui ont survécu au temps, la Vierge de Stuppach est une œuvre tranquille, contrastant avec le pessimisme parfois terrifiant qui se dégage des Crucifixions, de la Tentation de Saint Antoine, du Christ moqué et du Portement de Croix.

     Grünewald, horrifié par les massacres des paysans lors de l’affrontement de Frankhausen, très attiré par le mouvement réformiste, passa la fin de sa vie dans les villes de Franckfort et de Halle gagnées par le luthérianisme.