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Une statuette neurologique

Une statuette neurologique

Nice, le 8 novembre 2011

            dans l’œuvre picturale, il s’agit de transcrire "non le dehors sensible des êtres et des évènements, mais l’ensemble de leurs rapports et de leurs dépendances, c’est à dire leur logique ". La physiologie du groupe plutôt que son anatomie.
Hippolyte Taine (1828-1893)

    Permettez-moi de remercier Marine Flory du laboratoire Lundbeck qui nous réunit ce soir autour de la problématique de la maladie de Parkinson. Lorsque j'ai évoqué avec Michel Borg le sujet que je comptais traiter, à savoir la statuette archi-connue que vous voyez à l'écran, il m'a aussitôt envoyé un article sur une autre statuette tout aussi neurologique, dont j'ignorais l'existence, ce qui fait que je devrais très  logiquement intituler mon exposé : à propos de deux statuettes neurologiques. Mais vous ne tarderez pas à vous apercevoir qu'en fait nous allons rencontrer chemin faisant non seulement des statuettes, mais des statues. Pour un fois donc, place à la sculpture - même si la peinture sera également de la partie.

    Commençons donc par ce que Michel m'a communiqué. Je connaissais, pour l'avoir fréquenté en travaillant sur le concept de sublime, Alexander von Humboldt, qui fut explorateur, géographe, botanniste, zoologue, philosophe. J'ignorais qu'il avait un frère, Wilhelm (1767-1835), tout aussi brillant que lui, mais dans un domaine moins saillant : il participa à la réforme de l'enseignement de son pays, servit le roi de Prusse Frederic Guillaume III, voyagea en Europe, rencontrant Goethe et Schiller, s'intéressa à la philologie au point d'influencer Noam Chomsky, et fut un écrivain prolifique. Il tenait un journal dans lequel il nota les différentes étapes de troubles qui l'affectèrent depuis sa 57ème année, en 1824, jusqu'à sa mort onze ans plus tard. Tout débuta par une difficulté d'écriture, puis apparurent une dysdiadochokinésie, une difficulté pour se tourner dans son lit, un tremblement de repos, une réduction croissante de sa mobilité. Il lui était plus facile de grimper les escaliers que de marcher. Il mourut d'une pneumonie, complication probable de son état, sans rien avoir perdu de ses capacités intellectuelles. J'ai retenu qu'il maîtrisait particulièrement la réalisation des sonnets, au point qu'il en dicta un tous les soirs jusqu'à sa mort pendant près de trois ans.

    En 1834 puis en 1835 deux statuettes furent réalisées, celle de Wilhelm en 1834, celle d'Alexander en 1835. En 1834, Wilhelm avait 67 ans, et ses premiers symptômes étaient apparus dix annnées auparavant. Son frère cadet de deux ans avait 66 ans en 1835 lorque fut réalisée sa statuette. La comparaison des deux est éloquente. De même, l'étude des specimens de l'écriture de Wilhelm, entre 1824 et 1835, qui démontre la progression de la micrographie. Nous discutions du bien fondé de l'hypothèse selon laquelle l'un des portraits de monomanes réalisé par Géricault pourrait représenter une patiente parkinsonienne. Rien n'est moins sûr, nous en sommes d'accord, à moins comme François Tison finement le remarqua qu'elle ne fut avant l'heure sous agonistes dopaminergiques (il s'agit en effet de la monomane du jeu). la comparaison des statuettes des deux frères met en évidence l'aspect voûté et la mimique figée de Whilhelm, qui semble beaucoup plus âgé que son frère. Voilà tout ce que j'ai découvert grâce à Michel Borg, et que je partage avec vous ce soir.

    Je vais maintenant vous montrer le plus célèbre tableau de l'histoire de la neurologie. J'avais tenté, il y a environ quatre ou cinq ans, d'en faire la physiologie, c'est-à-dire de parler de son fonctionnement, puisque Monsieur Signoret il y a trente ans en avait fait l'anatomie d'une manière inégalable, faisant preuve d'une érudition extraordinaire à propos de chacun des personnages. Ce que je vais vous raconter, intéresse une poignée des protagonistes du tableau d'André Brouillet. Lequel était un peintre très académique puisqu'il fit cette oeuvre en 1887, l'année après que se fut déroulée la dernière exposition impressioniste, mais également un peintre farceur, et j'espère vous le démontrer. Par ordre d'entrée en scène, je vais donc parler de Charcot, de Blanche Wittman, de Marguerite Bottard, de Babinski, de Paul Richer, d'Albert Londes, de Matthias Duval. Et de quelques absents : Duchenne de Boulogne, disparu en 1875, et de Vulpian, mort l'année où fut peint le tableau. Vulpian fut le collaborateur de Charcot dans le domaine de la sclérose en plaques. Voici une statuette, un modello, un projet pour la statue qui sera érigée en sa mémoire. Qui l'a faite ? Paul Richer. Il est assis derrière Charcot, très attentif, le crayon à la main, nul ne sait s'il prend des notes ou s'il saisit les attitudes de son patron sur le vif.  Au moment de la réalisation de ce tableau, il est à la fois neurologue, collaborateur de Charcot, et enseignant d'anatomie à l'École des Beaux-Arts à Paris.1 Il faut que je vous en dise un peu plus à son propos.

     Paul-Marie-Louis-Pierre Richer est né à Chartres le 17 janvier 1849 et mort le 17 décembre 1933. Ses parents tenaient un magasin de nouveautés.2Il est reçu au baccalauréat es-lettres en 1868, à Clermont-Ferrand, et l'année suivante lauréat de la section es-sciences à Paris. Paul Richer avait en effet décidé d'embrasser la carrière médicale, et pour celà, il fallait être doublement bachelier.

    Il se reposait à Chartres auprès de sa famille lorsqu'éclata la déclaration de guerre à la Prusse. Étudiant, il ne fut pas mobilisé. Le 31 Aout 1870, à la stupéfaction générale, Napoléon III est fait prisonnier à Sedan avec 83.000 hommes. Les troupes prussiennes entrèrent à Chartres, Paul Richer réussit à rejoindre les ambulances du médecin-major de la place de Loigny, Dujardin-Beaumez, qu'il aida lors de l'amputation de cuisse du général de Sonis. Lequel raconta au jeune Richer une scène terrible dont il fut le témoin : sur le champ de bataille, des détrousseurs de cadavres prussiens achevèrent le commandant de Troussure afin de lui voler sa montre en or. Scène qui frappa tant l'imagination de l'étudiant qu'il en fit un dessin au fusain dont la reproduction photographique fut vendue au profit de la "Société de secours aux blessés". Plus tard il peignit l'ambulance de Loigny exposée au musée du Val de Grâce. Dujardin-Beaumez l'encourageait, et lui proposa d'illustrer un Traité de chirurgie des Armées qu'il entreprenait. Il se prépara en dessinant les cadavres des communards fusillés au Petit Clamard. Mais la nomination de Dujardin-Beaumez en Algérie mit fin au projet.

    Paul Richer après la commune de 1870 débutat son externat à la Salpétrière. Il aura pour patron Bouchut ( les tubercules de Bouchut ). Tout le monde savait qu'il était très doué pour le dessin et pour la sculpture.3Un de ses aînés, Henri Meillet, qui préparait une thèse sur les Déformations permanentes de la main, sous la direction de Charcot, lui demanda de l'illustrer. Paul Richier fit bien d'accepter. Voici les planches qui figurent dans la thèse. Lorsque Jean-Martin Charcot, les découvrit, il se serait écrité : on pourrait faire le diagnostic sur ces dessins ! Et il enjoigna Richer de préparer l'internat, lui promettant de le prendre dans son service lors de sa quatrième année. Ce qui fut fait. Au passage, je voudrais mentionner le témoignage de Sigmund Freud lui-même, qui passa quatre mois, l'hiver 1885-1886 dans le service de Charcot : il écrivit à propos de ce dernier, outre qu'il l'admirait infiniment, qu'il était un homme visuel : non dans le sens de visionnaire, mais dans le sens d'une aptitude à reconnaître intuitivement les caractères essentiels d'une maladie. Le 23 Décembre 1874, Richerl est nommé troisième Interne des Hôpitaux de Paris, dans la même promotion que Jules Déjerine. Ses choix se portent sur les services de Chirurgie de l'Hôtel-Dieu, puis à la Pitié en médecine. Il y décore la salle de garde, d'une grande fresque au fusain. Ceci est l'une des premières illustrations que Richer fit pour Charcot, au début de son internat : pour la leçon IV de Charcot sur les Luxations pathologiques et fractures spontanées multiples chez une femme atteinte d'ataxie locomotrice.

    Puis Richer commença la rédaction de sa thèse, assisté de Gosselin de Hayem et de Fernet, consacrée à l'étude descriptive de la grande attaque d'Hystérie, en suivant les deux convictions de Charcot : l'Hystérie est une maladie réelle, et l'Hystérie de mime aucune autre maladie. Afin de démontrer la constance de la présentation de l'Hystérie, Charcot et Richer distinguèrent quatre périodes - épileptoïde, clownisme, attitudes passionnées, période de délire, et huit phases, se fondant sur un grand nombre de croquis que Richer réalisait au lit des patientes. Par exemple, Suzanne présenta le 28 juin 1879 une série d'attaques, qui se déroulaient toujours selon la même séquence de figures illogiques comme Richer les appelait, dans le même ordre et de la même manière. Ce que voulait absolument démontrer Charcot : la constance de l'organisation de la Grande Attaque d'Hystérie. Voici quelques unes des illustrations de Richer pour la période des attitudes passionnelles, capitales du point de vue de Charcot, mais je n'ai pas le temps de développer ce point. Soutenue le 9 Avril 1879, la thèse intitulée l'Étude descriptive de la grande attaque hystérique, ou attaque hystéro-épileptique et de ses principales variétés reçoit la mention " extrêmement satisfaisant" et la médaille d'argent.

    Je reviens un instant sur le tableau pour vous montrer une des plaisanteries picturales de Brouillet : Blanche Wittmann, l'une des stars de l'équipe hystérique de la Salpétrière, tombe dans les bras de Babinski, et sans songer un instant au brancard évite les mains tendues de Marguerite Bottard. Voici Blanche, Blanche et Babinski, et le plus célèbre membre supérieur de l'histoire de la neurologie : regardez l'avant-bras, le poignet, les doigts, et l'on pourrait parler d'une posture pseudo-dystonique. L'attitude génée de Babinski, son index recroquevillé d'une manière incroyable, rien n'est représenté au hasard : j'imagine mal André Brouillet, qui a travaillé un an sur cette toile, ignorer que Babinski ne s'intéressait pas franchement au beau sexe.

    Charcot a demandé à Bourneville d'organiser un département photographique avec dans un premier temps le physiologiste Paul Regnard, un passionné de photographie, puis avec Albert Londes, et bien entendu avec Paul Richer. Voici comment ils procédaient : une fille avait une crise, Régnard prenait une photographie, et ensuite Richer faisait un dessin d'après la photo. Autre exemple : cette fois-ci, dans le cas d'une crise en arc-de-cercle, Richer tient compte pour la position de l'avant-bras de l'un de ses croquis, plus que de la photographie de Londes. Voici l'installation d'Albert Londes, reconnaissable à son petit chapeau, à son tablier et à sa barbe, avec laquelle il photographiait ses modèles pendant qu'elles prenaient des poses illogiques. À l'appui de ce que je vous explique, cette planche de photographies de Londe commentées et classées de la main de Richer. Ou encore, la photographie d'Albert Londe, la gravure de Paul Richer qui avec Charcot a longuement examiné le cliché de Londe, et défini la Phase d'immobilité Tonique ou Tétanisme.

    Considérons cette séquence d'illustrations : d'abord une photographie d'Angélique, une des challenger de Blanche Wittmann, en proie à une attaque démoniaque, avec une protraction de la langue et un air mauvais qui évoquent le film l'exorciste. Suivent les croquis effectués par Paul Richer, et enfin ce dessin très élaboré. Qu'est-ce qui distingue la photographie du dessin ? Sur la première, vous pouvez reconnaître quelqu'un, ou dans le cas contraire, demander qui elle est. Sur le second, il n'est pas tant question de qui est représenté, mais de qu'est-ce qui est présenté : en l'occurence, l'idée d'attaque démoniaque, élaborée par un neurologue et mise en forme par un artiste. Ici je dois mentionner une notion très importante avancée il y a plus de cinq siècles par de Alberti et Leonardo da Vinci : le dessin et la peinture sont des cose mentale. Des constructions mentales émanant de l'esprit de l'artiste. En aucun cas il ne s'agit d'imitations au sens de copie.
    
    En d'autres termes, la photographie est un outil, une trace, une preuve que quelque chose est arrivée à quelqu'un, que l'on peut conserver dans un dossier, dans des archives.  Alors qu'un dessin ou une peinture sont un travail, une chose mentale : Sigmund Freud définit à ce propos que Charcot était un Krankenheitbilder, travaillant à la description de tableaux cliniques, une notion introduite dans les années 1850 par l'aliéniste Falret, tandis que lui, Sigmund Freud, était un Krankenheitgeschichter, travaillant sur l'histoire du symptôme.

    Évidemment tout ceci a été critiqué, on a fait remarquer à propos de ce tableau qu'un poster intitulé période de contorsions, représentant un pseudo-opistotonos, était accroché en mur faisant face à Blanche Wittmann, laquelle n'avait plus qu'à reproduire par imitation - un concept majeur depuis des siècles - ce qu'on lui mettait sous les yeux, et que par dessus le marché Charcot lui suggérait par ses commentaires.  Le poster, c'est encore l'oeuvre de Richer, l'agrandissement de l'un de ses croquis sur la posture illogique en arc-de-cercle. Personnellement je suis convaincu qu'il s'agit d'une astuce de peintre, l'idée du modèle présent dans le tableau est très à la mode, j'y reviendrai. Mais les détracteurs de Charcot, de Bernheim à Didi Huberman en passant par Babinski et le rejeton d'Alphonse Daudet, Léon Daudet, qui haïssait Charcot dont le fils épousa son ex-femme, la petite fille de Victor Hugo, le vilipendèrent en l'accusant de manipuler les patients d'user de la suggestion et de créer un artefact culturel, si bien que l'on parlait en cette fin de siècle de l'hystérie de la Salpétrière.

    Maintenant examinons l'idée, vieille de plus d'un siècle,  selon laquelle tout ceci ne serait qu'une supercherie. Bien sûr, les prétentions de Duchenne - reproduire toutes les expressions des passions de l'âme étaient outrées : comment reproduire un sourire de Duchenne, un sourire plus vrai que nature, avec seulement deux électrodes ? On dit que l'homme souriant était dans le civil employé de cirque. Et Charcot, agissait-il comme un metteur en scène ? Comme un directeur de cabaret, avec son chapeau haut-de-forme et sa canne ? Ceci est la seule photographie de Charcot en compagnie d'une malade : une patiente infortunée ataxique, pas une danseuse. Laissez-moi vous montrer comment je conçois l'interprétation ready-made de la leçon à la Salpétrière : sur la gauche, le poster de la phase de contorsion suspendue sur le mur ; sur la droite, lui faisant face, Blanche Wittmann, reproduisant la posture du membre supérieur gauche. Par dessus le marché, les commentaires de Charcot suggéraient à Blanche Wittmann quoi faire, comment se comporter. Qui dit cela ? Paul Bernheim, de la faculté de Nancy, un adversaire déterminé de Charcot ; Babinski lui-même, après la mort de Charcot, qu'il admirait, prit ses distances par rapport à sa conception de l'hystérie. Sans parler de l'auteur des Morticoles, Léon Daudet, l'ex-époux de la petite fille de Victor Hugo, qui haïssait Charcot. Pour eux, tout est affaire d'imitation, de suggestion, de pathomimie, de pithiatisme, si ce n'est de simulation, de manipulation. Et de nos jours, l'Invention de l'hystérie publiée par Georges Didi Huberman, traduite en anglais et en allemand, demonstrates that all this was a cultural artefact, a production organised by Charcot and his collaborators with the great help of photography. Here I should add that imitation was a very important concept all through the nineteenth century : from psychiatric, sociological, and epidemics points of view. One thinks about modern memetics. Even Paul Regnard, the first photographer we met, wrote a book about epidemical diseases of the brain. Back to the poster ; let's focus on this detail : the forearm, as Richer drew it. I turn it a quarter-turn on the left, and I place next to it the homologous detail of Brouillet's painting. What would you say ? Well, Brouillet, this academic painter, who had been criticized a lot for his lack of genius, reproduces very well the drawing of which he took inspiration. Is this an imitation of Richer by Brouillet ? Yes and no. Of course you recognize the same forearm but the technic is different. Aswell as the organisation of the painting : here we have recognized one of Brouillet's trick : Blanche falls in the arms of Babinski, not in those of the  spinster.  How works the cliché ? Here is Blanche Wittmann, when she was doing fine. Someone at the bedside is waiting with a pencil for her to have a fit, and does a sketch of it. Someone is waiting for her to have an attack, and takes a photography of it. Then, a sequence of reproductions : the drawing,  the poster, and the painting by Andre Brouillet. Which is a cosa mentale. The intern organisation of the painting has been setup by Brouillet, not by Charcot. The idea is that the poster influences Blanche Wittman's behaviour. The link between all these steps ? Imitation. And this is in my opinion the weak link. Imitation, really ? Let's take some example. Could you do this, or that, tonight, in your bedroom, more than two minutes, without calling emergency services ? While the men kept these pseudo-opistotonos for hours and days !  Now, is this an imitation ? I can hear some saying : but this is exagerated, it comes straight from the imagination of the artist... Really ? And what about this photograph, of which you understand the function ? Who or what does this girl imitate ?

    Maintenant intéressons-nous au dernier rang, constitué d'un anatomo-pathologiste, Cornil, d'un critique d'art, Philippe Burty, spécialiste des japoniaiseries et sur le point de vendre une esquisse de Delacroix à Charcot, du fils du patron, Jean Baptiste Charcot, qui à l'époque ne rêve que de prendre la mer, et de ; j'allais oublier le plus important : ce personnage appuyé contre le mur, qui donne l'air de dormir : ses yeux, croyez moi sur parole car j'ai pris les clichés moi-même, sont clos. Il somnole, s'il ne dort pas tout à fait. Son nom est Mathias Duval, qui était à la fois professeur d'Histologie - vous voyez le très lointain rapport avec l'hystérie - et professeur d'anatomie à l'École des Beaux-Arts, exactement comme Richer. Bref, ennuyé ou fatigué, il eut été mieux dans son lit. Je ne sais pas comment il a réagi lorsqu'il a découvert la manière dont Brouillet, ce farceur, l'avait représenté.  

      Voici mainenant un nouveau tableau : la classe d'Anatomie de l'École des Beaux-Arts, réalisée en 1888, un an après la leçon à la Salpétrière, par un obscur peintre français, François Sallé. Je vous montre le couple de l'enseignant et du modèle, et maintenant, sur le tableau de Brouillet, le couple formé par Charcot et Blanche Wittmann. Vous sentez qu'il se passe quelque chose. Comparons Brouillet en bas, Sallé en bas. Cet homme qui somnole chez Brouillet est tout à fait éveillé chez Sallé : c'est Mathias Duval qui enseignes l'anatomie à l'École des Beaux-Arts. Poursuivons : l'audience, ici et là, est située à gauche. Ils sont trois au premier rang, celui du milieu prend des notes chez Brouillet, exécute un croquis chez Sallé. Une petite table est disposée chez l'un, que l'on retrouve chez l'autre. Ici, le support du modèle, là, le brancard prêt à supporter la top-modèle, Blanche Wittman. Cela fonctionne aussi lorsque l'on débute par le bas : la main de Charles Féré supporte sa tête ; quelqu'un doit se trouver dans la même posture  dans l'autre oeuvre, et l'on doit y repérer un dormeur.

    Qu'est ce que je veux suggérer au juste ? Que Brouillet aurait dû intenter un procès à Sallé pour plagiat ? Cela a été fait pour moins que cela plus d'une fois dans l'histoire de l'art. Mais ce n'est pas du plagiarisme. C'est de l'histoire de l'art : pensez aux innombrables variations sur le thème de la nativité, de Suzanne et des vieillards, du Jugement de Salomon, de la Madonne... Parfois il y a des différences subtiles, ailleurs de grandes mutations. Maitenant je voudrais vous montrer quelque chose d'intéressant concernant la signification de la statue qui marque la différence de la composition de Sallé : vous me ferez remarquer avec raison qu'il est très commun de trouver une statue dans une école des Beaux-Arts. L'original de cette oeuvre est le combattant écorché d'Eugène Caudron, un artiste français. Mais regardez cette première publication en 1889 signée par Londe le photographe et par Richer le neurologue traitant de la technique relativement récente de la Chronophotographi : l'étude du mouvement au moyen d'une technique photographique inventée par Muybridge et Marey,. La posture n'est-elle pas la même ? Ici j'introduis une idée importante me semble-t-il : les artistes académiques comme Richer, Brouillet, Duval, neurologues ou non sont dans la promotion d'un art qui est un processus d'imitation d'une beauté idéale, et au delà, du mouvement idéal, dans un esprit parfaitement platonicien. Voici le mythe de Pygmalion, composé par Jean-Léon Gérôme, un peintre tellement académique qu'on a dit de lui qu'il était un peintre pompier,  dont je vous ai déjà parlé à propos de la guerre des Tulipes.  

    Je reviens à Richer. En 1882 il devient chef du laboratoire de Charcot. Avec le soutien infaillible de ce dernier, il dessine sans relâche, menant de front trois carrières, la neurologie, l'enseignement du dessin anatomique et la sculpture, et publiant dans quatre domaines distincts : la neuropsychiâtrie : il contribue à de nombreux travaux sur l'hystérie et l'hypnose : lorsque Paul Richer est nommé membre de l'Académie de Médecine en 1898, son épreuve de titres est impressionante. On y trouve entre autres contributions : Feuilles d'autopsie pour l'étude des localisations cérébrales, par P. Richer,... Etudes cliniques sur la grande hystérie ou hystéro-épilepsie ; Magnétisme animal et hypnotisme ; Paralysies et contractures hystériques, par le Dr Paul Richer : Hémianesthésie hystérique et hyperesthésie ovarienne dans l'hystérie ; De la contracture hystérique ; De l’hystéro-épilepsie ; Hystéro-traumatisme ; Scotome hystérique ; Œdème bleu des hystériques ... ; la critique scientifique des oeuvres d'art, qui influencera toute une littérature paramédicale de la fin du XIXème siècle ;  la morphologie et l'anatomie ; les oeuvres artistiques réalisées pour partie dans le cadre de la science.

    Lorsqu'il travaillait à l'hôpital, il était confronté à la laideur, aux maladies, aux attitudes illogiques, à l'altération ou à la perte du mouvement, au ralentissement, à la raideur... : Léon Lebas, directeur de la Salpétrière, lui aménage à la demande de Charcot un petit atelier dans les dépendances du service. Richer entreprend la confection de statuettes pathologiques, que nous utilisons encore pour illustrer nos communications sur la maladie de Parkinson : il en existe trois : une malade atteinte d'une paralysie glosso-labio-laryngée, serviette autour du cou et mouchoir à la main témoignant de la sialorrhée ; un myopathique, bouche bée ; enfin la plus connue, regardez ces fameux dessins et statuettes de patients parkinsoniens. Avec Charcot, Richer à écrit plusieurs ouvrages sur les déformités et les démoniaques dans l'art. ensenmble ils se livrent à un inventaire de tout ce qui dans l'art pictural et dans l'art plastique peut illustrer la pathologie médicale : ils publient la somme de leurs recherches dans deux ouvrages. L'idée de Charcot est que les monstruosités représentées ont un fondement, sont le fruit de l'observation de l'artiste et non le produit de son imagination.    

    Les Démoniaques dans l'art sont édités en 1887 : les Possédés de Raphaël, de Rubens, les convulsionnaires de Saint Médard ; mais aussi un lépreux d'Albert Dürer, un mascaron grotesque de Venise illustrant un hémispasme glosso labial. Charcot reproduit in extenso la contribution de leur collaborateur le docteur Keller sur le retable d'Isseheim représentant un malade affligé de lésions cutanées sur le panneau de la tentation de Saint Antoine. L'opinion alors est qu'il s'agit d'ulcérations syphilitiques. L'oeuvre de Grünewald est citée à côté de la Vierge aux syphilitiques gravée dans le traité de Joseph Grünpeck de Burkhausen publié en 1496 et reproduite dans le traité complet des maladies vénériennes de Ricord en 1851. Les Difformes et les malades dans l'art, 1889 traite des infirmes, paralytiques, aveugles, estropiés ... Entre 1890 et 1895 Paul Richer secondera Henri Meige dans ses recherches sur les Hytériques, les Possédés, les Hermaphrodites dans l'antiquité gréco-latine. En 1902 Richer publie seul l'Art de la Médecine.

    Mais dès qu'il était à l'École des Beaux-Arts, il enseignait le dogme des proportions idéales chez l'homme, la femme, l'enfant. Il commence doucement : publiant sur le Bourrelet sus-rotulien, sur le sillon inférieur de la région du flanc en 1886 ; avec une note sur le pli fessier en 1889. Du rôle de la graisse dans la conformation extérieure du corps humain parait en 1890. L'Anatomie artistique, description des formes extérieures du corps humain au repos et dans les principaux mouvements est datée de 1890, obtient le prix Monthyon 1891 et le prix Bordin en 1894. Les Canons des proportions du corps humain sont édités en 1890 et 1893. Un point intéressant aurait pu être le passage de la théorie des proportions à l'étude du mouvement. Ici, un dispositif mis en place pour étudier le mouvement, utilisé par Richer en 1895, le phenakistiscope. Voici comment l'on procédait pour la chronophotographie. Noter le petit escalier sur la gauche. Il était utilisé pour étudier un homme descendant les marches. Muybridge en avait déjà fait autant dans les années 1870.

    Voici maintenant un croquis, diagramme d'un homme descendant, publié par Richer dans la Physiologie artistique de l’homme en mouvement en 1895. Et un très célèbre tableau, Nu descendant un escalier, 1912, du musée de Philadelphie, peint en 1912 par le pape du surréalisme : Marcel Duchamp (1887-1968). Richer aurait-il donc pu être considéré comme un précurseur de l'avant-garde ? Mais Marey avait déjà publié La Marche en 1873. Richer ne fut, définitivement, pas un avant-gardiste mais un artiste très académique. Parallèlement à son enseignement, Paul Richer s'exerce à la Sculpture, s'y épanouit, et présente au Salon de 1887 - là même où est exposé la leçon de clinique d'André Brouillet - Un Gymnaste, une petite statuette. Il réalise des compositions plus ambitieuses sur le plan artistique : le Moissonneur en 1888, le Faucheur en 1889, récompensé d'une mention honorable, acheté par l'État et confié au musée de Chartres. L'influence du sculpteur Aimé-Jules Dalou (1838-1902), membre du Jury, élève de Carpeaux, de Rodin qui fit son buste, est décisive. Dalou est un fils d'ouvrier, sympathisant de la commune, obligé de s'enfuir avec sa famille alors qu'il est condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité. Il est amnistié, revient à Paris. Il influence Richer, dont les premières compositions sont des ouvriers, des paysans à la tâche.

    Ainsi complète-t-il cette célébration du travail manuel par un Bûcheron, un Terrassier, un Forgeron, que l'on retrouve dans ses bas-reliefs, technique qu'il aborde comme celle des médailles, dans La Moisson, ou Aux Champs. On a reproché à Richer sa trop grande méticulosité dans les détails - on peut compter les boutons des guêtres du semeur, et admirer l'exactitude du réseau veineux de son avant-bras - et les proportions sont admirablement respectées mais le résultat est tout juste supérieur à un santon réussi : "C'est le paysan théorique de Georges Sand ou même de Zola, et non la bête de somme de l'homme à la houe de Millet, des casseurs de pierre de Courbet, si vivants" écrira-t-on sans complaisance. Voici son oeuvre la plus fameuse, datée de 1910 : elle est intitulée, Tres in Una. Paul Richer a représenté, en accord parfait avec sa conception propre de l'art, l'idéal du nu féminin à trois époques : l'Antiquité, la Renaissance, et la Belle Époque, synthèse des deux précédentes.

    En 1905, il est reçu à l'Académie des Beaux-Arts. L'hommage que lui rends Raphaël Blanchard, membre de l'Académie de Médecine, tout convenu et ampoulé qu'il soit, montre cependant comment était perçu Richer par ses collègues médecins : avant tout comme un artiste. Et pour eux il ne faisait aucun doute que Richer puisait son inspiration dans le tableau de la misère humaine qu'offrait la Salpétrière, incomparable champ d'observation. "Là où d'autres, comme un Callot, un Brouwer, ou un Goya, n'eussent vu que grimaces et contorsions, vous aves découvert une humanité pitoyable, qui ne pouvait laisser indifférent un artiste pénétré de cette grande compassion qu'engendre l'étude de la médecine". Suivent les commentaires sur l'étrangeté des attitudes, l'imprévu des expressions, la déchéance physique et morale, les raisons anatomiques de ces décrépitudes. "Vous avez écrit, dessiné, gravé, sculpté l'histoire de ces déshérités qui sont, malgré tout des hommes ...". Or, nous verrons dans un instant, après un bref détour par la Société française d'histoire de la médecine, fondée par le même Raphaël Blanchard, que les préoccupations de Paul Richer sculpteur sont bien loin des poncifs égrenés dans cet hommage.

    J'en étais là de mes réflexions - d'un côté prenant la défense de Charcot, que je voyais mal en directeur de cabaret organisant des tournées avec ses hystériques, et rejetant l'hypothèse d'une influence triviale du poster sur le comportement de Blanche Wittmann ; de l'autre constatant au fil de mes recherches l'assujetissement de Richer aux canons du néo-néo-clacissisme qui coexistait non plus avec les impressionnistes déjà dépassés mais avec les post-impressionnistes, fauvistes, pointillistes. Et l'idée s'insinua que la scultpure du tableau de Sallé aurait pu jouer le même rôle que le poster de Brouillet influençant Blanche Wittmann, sur le modèle présenté par Duval : mais bien vite je réalisai qu'il s'agissait en réalité de procédés de peintres, et non d'une sorte de confirmation du complot imputé à Charcot. Quelques années plus tard, le peintre Maurice Denis affirma la nécessité d'une "renonciation définitive à la Théorie de l'imitation, qui est fondée sur l'hypothèse qu'il existerait quelque part profondément ancré dans la conscience humaine un type de beauté parfaite pour tout objet qui tomberait sous le regard. Il ajoutait que "cette esthétique prétend atteindre l'émotion de la beauté par la reproduction des objets naturels, mais embellis, idéalisés, en accord avec certaines lois. Regardons de plus près le tableau de Sallé, les posters sur le mur du fond sont les agrandissements des théories classiques des proportions exposées et réalisées par Paul Richer.

    André Brouillet et François Sallé ont tous deux donné à voir la phase ultime de cette période dominée par des stéréotypes construits à partir de dogme, tandis que d'autres se chargeaient de bouleverser les conceptions académiques. Voyez cette caricature de Mattias Duval présentant un squelette au lieu d'un modèle vivant. Du point de vue de l'histoire de idées, ces deux oeuvres très académiques, comme la production esthétique de Richer, marquent la fin d'une époque. Je rappellerai simplement que pour Hegel, l'oeuvre d'art n'est pas une réflexion, ni une imitation, mais la révélation d'une pensée souterraine, sur le mode intuitif, là où les philosophes utilisent des concepts. Quittant la vision téléologique, hégélienne de l'Histoire, pour les perspectives aléatoires de l'epistémologie évolutionniste, qui s'intéresse à la coexistence des théories bien plus qu'au très incertain sens de l'Histoire, et encore moins à l'idée d'une progression linéaire ou non de l'art, nous pouvons cependant affirmer que Brouillet, Sallé et Richer furent de très importants témoins de leur temps, de la fin d'une époque, quand bien même ils n'étaient pas des artistes révolutionnaires. La seconde conclusion provisoire et que Richer et Duval n'intégrèrent pas dans leur enseignement de l'anatomie, leur savoir neurologique, et qu'ils dressèrent un barrage entre les deux mondes auxquels ils appartenaient.

    Paul Richer laisse une sorte de profession de foi autographe, dont la fin laisse perplexe : que signifie exactement "Mon verre n'est pas grand .... " ? Pourquoi les "Sincères compliments" sont ils biffés ? Le 11 Juin 1925, Paul Richer a 76 ans ; il participe à l'édition de la Nouvelle anatomie artistique du corps humain en 6 volumes, publiée entre 1906 et 1929. En 1930, il expose encore un groupe au Salon : l'Art et la Science aux pieds de Minerve, et s'éteint en 1933 alors qu'il travaillait à une médaille représentant l'explorateur Jean-Baptiste Charcot, le fils de son Maître, qui posait pas très loin de lui sur le tableau de Brouillet.

 Conclusion

     Ce qui peut paraître paradoxal, mais au fond est bien compréhensible, est l'opposition entre le spectacle de l'hystérie, la théatralisation, la laideur des postures, des convulsions, retrouvée jusque dans la poursuite des difformes et des estropiés dans l'art, et ce culte du beau, du parfait, du sain : le théâtre, la confusion, forment le quotidien de Paul Richer neurologue ; la sculpture, la simplicité des formes pures constituent le projet de Paul Richer professeur d'anatomie. Derrière le paradoxe, d'un côté le concret quotidien des attitudes illogiques, des dystonies, des tics, des mouvements pathologiques ; de l'autre, l'abstrait des muscles harmonieux, les athlètes aux performances exceptionnelles. La laideur des difformes représentés par les artistes est elle qu'elle ne peut être que le fruit de l'observation. L'esthétique néo-classique souhaitée par Richer relève du fantasme, à la mesure inverse du réalisme de la laideur. La place se dessine, en filigrane, d'un autre homme, projet à murir, qui laisserait derrière lui dans l'histoire comme un mauvais rêve, cette collection monstrueuse, fascinante et répugnante à la fois.

    Paul Richer et Mathias Duval, collaborateurs de Jean-Marie Charcot, et professeurs à l'École des Beaux-Arts fondent un modèle esthétique poursuivi par Henry Meige, entre 1873 et 1940, sur la construction dynamique du corps humain en mouvement. Cette restauration de l'art académique aboutit à un esthétisme néo-classique, qui entre en résonnance avec d'autres démarches analogues, en particulier en Allemagne et en Italie, et avec la restauration des jeux Olympiques par Pierre de Coubertin ou la célébration du sport de certains littérateurs comme Henry de Montherlant. Cette exhalation des vertus sportives et du culte du corps athlétique sent parfois le soufre, mais l'idéologie fondatrice de l'olympisme, à laquelle Paul Richer n'est pas étranger même s'il n'en est pas l'acteur le plus outré, n'est jamais l'objet de la moindre analyse critique, y compris lorsque l'occasion se présente de faire un léger effort de mémoire.
    Au delà, on passe effectivement avec Richer d'une anatomie des formes à une physiologie des formes. Les grecs et les romains, les auteurs classiques de la grammaire de ces formes, ne disséquaient pas.

    Neurologue, peintre, sculpteur, Paul Richer fut un collaborateur essentiel de Charcot. C'est tout naturellement que nous avons fait appel à lui pour illustrer la notion de rencontre entre la neurologie et les arts - une vieille idée que nous voudrions entretenir. Plus encore, Paul Richer est un sculpteur neurologue, ou un neurologue sculpteur comme on voudra, qui a consacré sa vie à l'étude du mouvement. Il illustre les mouvements pathologiques et les attitudes illogiques, une notion qui lui est propre, participant à leurs premières descriptions, en compagnie de confrères prestigieux, outre Charcot : Gilles de la Tourette, Bourneville, plus tard Henry Meige ... Mais aussi physiologie du mouvement, qu'il enseigne à l'école des Beaux-Arts à l'aide de la chronophotographie et illustre dans ses statuettes de travailleurs. Or, vous êtes maintenant habitué à cette chanson, depuis des lustres nous répétons au risque de lasser que s'il existe un salut hors du cognitivisme tout-puissant, il réside probablement dans le développement des conséquences de l'affirmation pour paraphraser Goethe et Berthold qu'au début est le mouvement : et cette toile ne serait rien pas même un jeu d'ombre et de lumière si elle n'était animée par votre regard, par le mouvement de vos yeux. Si construire des ponts entre la Neurologie et l'Art vous intéresse, vous pouvez visiter le site Neuroland-Art. Notre parrain virtuel est Paul Richer.

Mathias Duval (1844-1907)

Médecin et professeur d’anatomie à l’Ecole des beaux-arts
Professeur agrégé à la faculté de médecine et directeur adjoint de l'Ecole des Hautes études.

L'anatomie artistique, 1881
Embryologie, 1885
Précis d'histologie, 1900
Recherches sur l'origine réelle des nerfs crâniens, 1877
De la formation du blastoderme dans l'oeuf d'oiseau, 1884
Dictionnaire usuel des sciences médicales, 1885
L'anatomie des maîtres : Trente planches reproduisant les originaux de Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Géricault, etc., accompagnées de notices explicatives et précédées d'une histoire de l'anatomie plastique, 1890
Études sur l'embryologie des chéiroptères., 1899
Cours de physiologie d'après l'enseignement du professeur Küss, 1883
Structure et usages de la rétine, 1873, thèse
Histoire de l'anatomie plastique : les maitres, les livres et les écorches, 1898

"for the artists of antiquity the knowledge of the plastic forms [of the body] was like a maternal language which they spoke apparently without learning it, because they studied it at every instant; today that knowledge is no longer like a dead language, of which one painfully learns through grammar and the reading of its good authors; [because] in this case, the grammar is [modern] anatomy; the good authors are the masters of Greek sculpture (Duval and Bical 1890, 8).


Paul Richer, membre de l'Académie des Beaux-Arts (1905).

Le culte du beau

    Puis Richer sculpteur réalise en 1890 le Premier Artiste - un homme de Cromagnon modelant un mammouth. Il suit comme tout le monde les découvertes préhistoriques, le débat concernant l'apparition de l'homme - à la fin du tertiaire, au début du quaternaire , - en 1891 l'abbé Dubois découvre à Java les restes du pithécanthrope. La statue de bronze est " la reconstitution d'un type préhistorique de l'époque de la Pierre Taillée. Elle est exécutée d'après les données archéologique et anthropologiques les plus précises. La tête est modelée sur le moulage d'un crâne de la grotte de Cro-Magnon". ( Richer Paul, Notice des titres et travaux scientifiques de 1896). Richier après cette nouvelle version de l'invention de la sculpture passe avec le nouveau siècle à un tout autre thème, dont l'idéologie est limpide : les Athlètes et les Sportifs : les Coureurs, le Coup de Pied, les Lutteurs, les Boxeurs, les Joueurs de Football. Il est présent à l'exposition universelle internationale de 1900, et ses sportifs seront exhibés au Racing Club de Paris en 1903. Le même qui n'appréciait pas les paysans écrira du Coup de pied qu'il n'est " qu'un théorème de myologie". Et affirme que les modèles sont tous des gymnastes du cirque Franconi.

    L'enjeu du sport est très clair : l'esprit de compétition que prônait aristocratiquement le baron Pierre de Coubertin s'oppose à l'éducation physique, égalitaire, vouée au plus grand nombre et défendue par Paschal Grousset, un ancien communard déporté en Nouvelle Calédonie, dont la vie est un roman ; «  ...  un homme que je méprise et avec lequel je ne veux point avoir de rapports », déclare cependant Pierre de Coubertin. Qui n'hésite pas à écrire : " C'est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n'est appréciable qu'aux forts " ; "La première caractéristique essentielle de l’olympisme ancien aussi bien que de l’olympisme moderne, c’est d’être une religion"; l’athlète moderne exalte sa patrie, sa race, son drapeau ". L'exhaltation du corps, c'est la célébration de l'anatomie de la race blanche, esthétiquement supérieure. Quant au sport considéré comme une religion, c'est le postulat d'un essai de Philippe Simonnot publié en 1988 ( Homo sportivus : sport, capitalisme et religion, Paris, Gallimard ).

    Le parallèle entre Richer et Pierre de Coubertin se poursuit jusque dans des positions qui paraîtraient insoutenables aujourd'hui sous peine d'être accusé de sexisme : Richer oppose dans ses canons la variabilité des formes féminines à la constance des formes masculines ; l'homme idéal réponds aux canons du héros grec antique, mâle musclé et dynamique de huit têtes de haut, tandis que les femmes, bien que constituées des mêmes organes, tissus, os, muscles, vaisseaux et nerfs, présentent néanmoins aux regards des formes infiniment (sic) plus variées que celles d'un homme ; variabilité attribuée au caractère " presque fluide " de son tissu adipeux. On est cependant loin de la grossièreté des positions de Pierre de Coubertin, qui écrit "Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Le véritable héros olympique est à mes yeux, l'adulte mâle individuel. Les jeux olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs."

    Richer dans son discours inaugural à l'école des Beaux-Arts calme les étudiants chahuteurs en leur promettant de remplacer l'écorché classique par de l'anatomie vivante et dynamique, telle que la chronophotographie permet de l'analyser. En fait cette proposition est loin d'être neuve, elle date du chirurgien Pierre-Nicolas Gerdy* qui dans les années 1820 suggérait de fonder le dessin anatomique sur le nu en mouvement autant que sur le cadavre disséqué. Mais les étudiants des Beaux-Arts qui chantent et qui crient n'ont aucune notion de l'histoire de leur enseignement et Richer peut faire passer son programme pour rénovateur et audacieux. Il semble que sur la forme il tint ses promesses - s'aidant de grandes planches d'anatomie en couleur qu'il dessinait lui-même.

    Les modernes Apollons sont cyclistes ou footballeurs, et Hercule travaille désormais à la foire du Trône. Il reprend à son compte les propos de son prédecesseur Matthias Duval au sujet de l'esthétique grecque, grammaire de l'anatomie dont il faut lire les bons auteurs, ici les sculpteurs de l'antiquité, afin de fonder une école néo-classique. On est très loin de la dramatisation pré-romantique des peintres classiques. Il s'agit seulement ici d'exhalter le beau, la force, une musculature puissante et bien proportionnée, condition physique, enveloppe charnelle parfaite, du futur savant moderne.

*"Il y a déjà longtemps que Gerdy avait compris tous les services qu'elle pouvait rendre à ces derniers; aussi adressait-il son ouvrage sur les formes extérieures du corps humain aux chirurgiens en même temps qu'aux artistes. Son livre malheureusement trop oublié est le premier, et encore peut-être le seul ouvrage, où les formes extérieures soient étudiées et décrites méthodiquement. Le texte est accompagné de deux sortes d'annotations contenant les applications pratiques, les unes relatives aux beaux-arts, les autres se rapportant à la chirurgie. « Les formes extérieures, dit-il, par leurs relations avec les formes intérieures, montrent, à l'intelligence du chirurgien, ce qui est caché dans la profondeur du corps par ce qui est visible à sa surface. » Richer Paul Note sur l'anatomie morphologique de la région lombaire; sillon lombaire médian.

Publications

Meillet, H  Des déformations permanentes de la main au point de vue de la sémiologie médicale / par H. Meillet ; dessins de P. Richer  Paris : G. Masson, 1874 125 p. : ill. ; 24 cm
Étude descriptive de la grande attaque hystérique ou attaque hystéro-épileptique et de ses principales variétés, 1879
Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie ou grande hystérie , 1881
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1888-1917
Anatomie artistique : description des formes extérieures du corps humain au repos et dans les principaux mouvements : avec 110 planches renfermant plus de 300 figures dessinées, 1890
Paralysies et contractures hystériques, 1892
L'Anatomie dans l'art : proportions du corps humain, canons artistiques et canons scientifiques, conférence faite à l'Association française pour l'avancement des sciences, 1893
Physiologie artistique de l'homme en mouvement, 1895
Melanges Sur La Science Et Sur L'art, Richer, Paul
Date : 1896
Dialogues sur l'art et la science, 1897
Introduction à l'étude de la figure humaine, 1902
Nouvelle anatomie artistique du corps humain (6 volumes), 1906-1929

Nouvelle Anatomie Artistique, Iv V Et Vi, 4 5 Et 6, Le Nu Dans L'Art, Richer (paul)
Editeur : Plon - Date : janvier 1925
Nouvelle anatomie artistique. Les animaux, 1910
Lettre à en-tête de l'Institut de France, « profession de foi », 1925
Le Nu Dans L'art T. 3 L'art Chretien, Richer Paul
Editeur : Plon - Date : 1929

Avec Jean Martin Charcot :
Les Démoniaques dans l'art, 1887
Les Difformes et les malades dans l'art, 1889

Avec Gilles de la Tourette :
« Hypnotisme », Dictionaire encyclopédique des sciences médicales, 1887

Meige, Henri Charcot artiste Paris, Masson et Cie 1925 1 plaquette, 45 p., ill. (Fonds : Leçons de Charcot.)

Bibliographie

Le Docteur Paul Richer, Album Mariani Henry Floury - Extrait du Tome 6. 1901
Marshall Jonathan The theatre of the Athletic Nude : the teaching and study of anatomy at the Ecole des Beaux-Arts, Paris 1873-1940
Meige, Henry (1866-1940) Paul Richer et son oeuvre  Paris : Masson, [1934]
Prioux (Roger), Deux médecins - Deux sculpteurs - Paul Richer et Raymond Sabouraud, thèse, Paris, Librairie Arnette, 1947, 58 p. L'auteur* d'une thèse expédiée en 69 pages sur Richer et Sabouraud, médecins et sculpteurs, rédigée dans le style hagiographique, voudrait nous faire croire que la thèse de Richer fut " ... la somme d'inlassables observations. Richer était resté de très longs moments dans les salles au chevet de telle ou telle malade, à guetter un geste, une attitude, une expression qu'il  enregistrait fébrilement sur le papier." On dirait David croquant à l'arraché les condamnés sur le passage de la charrette les menant à la guillotine. " Les heures innombrables passées ainsi, sa ténacité, lui valurent ce succès bien mérité. Dès lors il n'allait connaître que les honneurs."

Henry Meige (1866-1940)

"La procession dansante d'Echternach" de Dr. Henry Meige (1866-1940), neurologue Elève du Dr.Jean-Marie Charcot, professeur à la Salpétrière, il a notamment travaillé avec Brissaud. Cette étude constitue un des ouvrages de référence sur l'hystérie collective.



Date de création : 13/11/2011 : 11:17
Dernière modification : 21/04/2012 : 12:54
Catégorie : Conférences
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