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Paramnésie reduplicative (Magritte et la Neurologie)

   14/06/08 : Conférence Benoit Kullmann :

 Paramnésie reduplicative
( Magritte et la neurologie)

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    Le même et l'autre, l'identique et le différent, voilà ce de quoi nous débattons aujourd'hui. Aborder ce sujet d'un point de vue immunologique, m'aurait paru une tâche moins insurmontable que sous l'angle de la neurologie et ce n'est un mystère pour personne que le problème de la conscience en général et de la conscience de soi en particulier ne m'obsède pas plus que le temps passé devant son miroir le matin. Je cherchais du côté d'Ixion et Junon de Rubens lorsqu'une observation personnelle d'une pathologie singulière m'est revenue en mémoire. Une situation clinique discutée depuis son identification, tant par les psychiâtres que par les neurologues, et par-dessus le marché dans le prolongement de notre dernière réunion commune autour des hallucinations, voilà qui m'a semblé convenable.

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Observation n°1

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    Soit un homme, âgé de soixante dix-neuf ans, diabétique, hypertendu, suivi pour maladie de Binswanger,  bénéficiant depuis plusieurs mois d'un traitement morphinique pour néoplasie prostatique métastasée au système osseux. Il est hospitalisé pendant plusieurs semaines pour bilan de troubles des fonctions supérieures puis retourne à son domicile. Il signale à son entourage, qu'à son avis sa chambre n’est pas sa chambre, mais une chambre construite à l’identique mais dans un autre lieu. Parfois il pense qu’il est dans un train, dans un wagon construit à l’identique  du service hospitalier.

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René Magritte (1898-1967) La durée poignardée 1938, Huile sur toile, 147 x 98,7 cm, Art Institute of
Chicago

    Il reconnaissait par la fenêtre de sa chambre d’hôpital ( sans aller vérifier) le paysage des usines qu’il dirigeait autrefois. Celà fait beaucoup de cheminées : d'usines, de train ... Tout ceci m'a fortement évoqué la Durée poignardée de René Magritte.

    Sa vigilance est subnormale, la reconnaissance des proches également, l'identification de morceaux de musique complexes est intacte ; l'usage des langues de ce patient trilingue est conservé.

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    Ce phénomène a été décrit et nommé par Arnold Pick en 1903, chez une patiente qui croyait avoir été déplacée depuis la clinique urbaine de Pick, jusque dans un établissement qui lui paraissait identique mais situé dans une banlieue familière. L'expression choisie par Pick, la paramnésie reduplicative, reduplicative paramnesia en langue anglaise, est définie de manière consensuelle comme la croyance qu’un lieu a été dupliqué et existe simultanément dans deux endroits ou plus, ou qu’un lieu a été déplacé dans un autre endroit.

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     La paramnésie duplicative a été observée ultérieurement chez des soldats traumatisés crâniens qui pensaient que l’hôpital militaire était localisé dans leur ville natale, et étudiée en particulier par Benson et al. en
1976 chez trois traumatisés crâniens. On peut retenir une quinzaine de publications dans la littérature internationale, d'où il ressort que les étiologies sont variées, vasculaires ( démences vasculaires, sténose de l'artère sylvienne droite), dégénératives, traumatiques, post-chirurgicale, après une biopsie du corps calleux, et dans un contexte singulier, celui du syndrôme de Morvan. Lequel associe dans des proportions variables des troubles cognitifs, des troubles du sommeil, des hallucinations, des illusions telles que la paramnésie duplicative, une hyperexcitablité du système nerveux périphérique, des myokimies et une neuromyotonie, une dysautonomie qui sont rapportés à l'existence d'anticorps VGKC ( Voltage gated K+ channel antibodies ). Cette pathologie est accessible aux traitements immunomodulateurs : corticostéroïdes, plasmaphérèses, immunoglobulines.  

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Observation n°2

    Le hasard des consultations, peut-être un peu aidé par la puce à l'oreille qui me démangeait depuis quelques semaines de réflexion sur ce sujet, a mis sur le chemin de mon cabinet un patient dont je vous résume l'histoire encore plus singulière que la précédente :

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    Ce patient décrivait non seulement ce que nous savons désormais être une paramnésie reduplicative, mais encore pensait que son épouse n'était pas son épouse, et couronnait le tout par une illusion de présence. La symptomatologie évoluait depuis des mois, et s'accentuait franchement depuis Avril dernier. J'organise aussi vite que possible une investigation par IRM, laquelle est toute fraîche, elle date d'hier :

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    On retiendra avant tout une atrophie cortico-sous-corticale assez banale chez un homme âgé de quatre-vingt-six ans, peut être un peu plus marquée dans les régions postérieures, et la séquelle frontale droite, fronto-orbitaire, de l'accident survenu il y plus de quarante années.

Observation n°3

    Un patient âgé de 83 ans, diabétique non insulino-dépendant, hypertendu traité, depuis quelques mois d'une part pense qu'il n'est pas chez lui, de manière permanente, tout en admettant que l'appartement de quatre pièces où il vit actuellement est absolument identique à son appartement ;  les objets familiers sont les mêmes : en particulier, une reproduction du tableau de David, Bonaparte franchissant les Alpes au Grand Saint-Bernard ; d'autre part, il ne reconnait pas son épouse, par intermittence.

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Jacques-Louis David Paris, 1748 - Bruxelles, 1825 Bonaparte franchissant les Alpes au Grand Saint-Bernard mai 1800 huile sur toile 1801 260 cm x 221 cm
Rueil-Malmaison, Musée national du Château

    Néanmoins sa conversation est fluide, son vocabulaire choisi, son raisonnement intact, sa mémoire des faits récents et son orientation temporelle très correctes ; il sait que Lyon est en tête du classement du championnat de football et désigne aisément cette ville ou Nice sur une carte de France. Il n'existe pas de prosopagnosie, ni d'agnosie des objets. Il ne signale pas d'hallucination, ni illusion de présence.

    Nous organisons une IRM encéphalique avec angio-IRM, une scintigraphie cérébrale au neurolite :



    Les délires d'identification

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René Magritte La reproduction interdite ( portrait d’Edward James ) 1937 Rotterdam Musée Boymans van Beuningen. Sur la cheminée, sont posées les Aventures d’Arthur Gordon Pym  d’Edgar Allan Poe

    En 1989, la description du groupe syndromique « Delusional Misidentifications », délires d'identification en français, regroupe de façon variable selon les auteurs, délires d’identité, troubles d’identification simples, fausses reconnaissances, conduites agressives envers les proches sans délire verbalisé : on y distingue

- Le syndrôme de Capgras : croyance délirante qu’une personne familière a été remplacée par un double (Capgras, Reboul-Lachaux, 1923)

- Le syndrôme de Fregoli : croyance délirante qu’une personne familière a été remplacée par une personne non familière  (Courbon, Fail, 1927)

- L'intermétamorphose : croyance délirante qu’une personne a été physiquement et psychologiquement transformée en une autre (Courbon, Tusques, 1932)

- Les doubles subjectifs : croyance délirante qu’une autre personne a acquis les caractéristiques physiques et l’identitité du sujet (Christodoulou, 1978)

- et enfin la paramnésie reduplicative, croyance délirante qu’un lieu familier du patient existe simultanément dans différents lieux (Pick, 1903).



    Ces pathologies ont suscité l'intérêt tant des psychiâtres, que des neurologues :  à côté de Capgras, dont on cite volontiers Les folies raisonnantes parues en 1909 dans lesquelles on peut trouver exposée dans le détail la paranoia de Jean-Jacques Rousseau, on peut retenir le chapitre de l'encyclopédie neurologique rédigé en 1991 sous la direction de Bogousslavsky, intitulé Syndrômes majeurs de l'hémisphère mineur, et traitant entre autres syndrômes de la paramnésie reduplicative.

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 René Magritte Personne méditant sur la folie 1928

    La Personne méditant sur la folie peinte par Magritte en 1928 pourrait être dans ce cas précis soit un psychiâtre soit un neurologue.

    Dans l'article consacrant l'illusion des sosies, le cas princeps est une femme convaincue que son mari et sa fille n'étaient pas véritablement son mari et sa fille mais des personnes étrangères ayant pris leur apparence. On soulignera qu'il s'agit d'une patiente déjà connue pour un délire de persécution et mégalomanie, filiation illustre ( princière ), substitution d'enfants ...  Serieux et Capgras, qui utilisent l'expression : agnosie d'identification sans trouble de la perception, sont très précis : la ressemblance est admise, mais l'identification est impossible. Les deux auteurs opposent à un sentiment de familiarité, inhérent à toute reconnaissance, un sentiment d'étrangeté, "provoqué par une crise anxieuse, entretenu par une propension à s'attacher aux plus petits détails".

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René Magritte Portrait de Paul Nougé Huile sur toile 94,3 x 64,5 (1927)

   Courbon et Fail décrivent en 1927 le "syndrôme de Fregoli" : le cas princeps est une domestique âgée de 27 ans, passionnée par le théâtre, qui avait développé un délire selon lequel deux actrices, Robine et Sarah Bernhardt, se déguisaient pour la persécuter. Il n’y a pas théoriquement de changement dans l’apparence de la personne observée, mais la conviction que cette personne en est une autre qui s’est déguisée. Je me suis interrogé sur le problème particulier du changement de coiffure. Le contexte est le plus souvent hostile et menaçant, mais pas toujours : certains sosies aident le délirant.

    L’illusion de Fregoli n’est pas aussi fréquente que le syndrome de Capgras. Encore plus rare est "l'intermétamorphose" isolée en 1932 par Courbon et Tusques. Le cas princeps est une patiente âgée de 49 ans, orientée, enjouée, mais
amnésique, et décrivant depuis plusieurs années

- un sentiment de fabuleux et de merveilleux qui lui fait interpréter les choses « drôles » qu’elle perçoit ou ressent comme l’effet d’un charme

- une conviction que son mari est métamorphosé en diverses personnes, et que certaines personnes se métamorphosent en son fils, plus ou moins complètement.

    Voici quelques exemples de "doubles multiples" rapportés dans la littérature récente et particulièrement éloquents :

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    Vous saisissez ce qui fait le fond commun de ces troubles de l’identification : étrangeté et familiarité, par défaut, par excès, dédoublement, substitution... Cette familiarité : est elle une propriété attribuée ou un défaut, une absence d’étrangeté ( est familier ce qui n’est pas étranger, et la première expérience serait celle de l'étrangeté qui précèderait la familiarité ) Et inversement : l'Etrangeté est elle une propriété attribuée ou est-elle consécutive à un défaut, une absence de familiarité ( est étranger ce qui n’est pas familier ). Les choses se compliquent lorsque l'on introduit une distinction entre les troubles de la familiarité perceptifs et affectifs, nous y reviendrons.

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    Que la familiarité soit bien une qualité est confirmé par la description de différentes conditions pathologiques comportant une hyperfamiliarité dans leur symptomatologie : démences fronto-temporales, infarctus veineux temporo-occipital gauche, lésion cingulaire antérieure, et même une affection génétique singulière, le syndrôme de Williams-Beuren.

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    Interprétation

    Je vais opposer de manière très simpliste deux types d'interprétations, l'une psychodynamique  que je ne ferai que mentionner parce que je n'y entends rien en dépit de la sympathie éprouvée pour cette manière de penser ; et l'autre cognitiviste que je développerai beaucoup plus bien que paradoxalement je n'y souscrive pas une seconde. Mais c'est l'idéologie dominante et il faut la connaître. 

    Les interprétations psychodynamiques : pour Capgras et Reboul-Lachaux, le délire d’identité émanerait d’un trouble du jugement affectif et d’un conflit entre le sentiment de familiarité et celui d’étrangeté. D'autres ont évoqué un phénomène de déréalisation ( une perte de familiarité avec le monde extérieur ). Enfin on a insisté sur la survenue préférentielle des délires d’identité chez certaines personnalités à caractère paranoïaque pour lesquelles l’environnement et les proches sont rattachés à l’intégrité de l’individu par extension du moi.

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    Avant d'attaquer le chapitre de l'interprétation cognitiviste, je rappelerai une définition assez commune de la cognition. La cognition regroupe les divers processus mentaux de perception, mémorisation et raisonnement : c'est l'ensemble des processus mentaux qui s'intercalent entre le stimulus et la réponse, et qui transforment l'apport sensoriel, le traduisant en code abstrait (on parle de représentation), l'entreposant en mémoire pour le retrouver plus tard. En somme, la conception du cerveau des behaviouristes, entre stimulus et réponse ; complétée par un remplissage, entre ces deux bornes conservées, empruntant sans la moindre vergogne le schéma informatique le plus basique.

    Avant de nous intéresser au cas très particulier des paramnésies reduplicatives, je voudrais évoquer la question de deux phénomènes que vous connaissez tous et qui constituent les bases des raisonnements appliqués aux délires d'identité, l'un est exceptionnel et très neurologique, la prosopagnosie ; l'autre est très commun, le déjà vu et ses cousins les déjà vécu et déjà entendu. 

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René Magritte (1898–1967) Les Amants 1928 National Gallery of Australia Melbourne

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Johann Wilhelm Baur La recréation du genre humain à partir de pierres Ovid, Met. I, 381-415 Edition 1649

    Sortis du temple, ils voilent leurs fronts, détachent leurs ceintures, et, selon qu’il leur a été prescrit, ils marchent et jettent des pierres derrière eux. Aussitôt (qui le croirait, si l’antiquité n’en rendait témoignage ?) ces pierres s’amollissent, semblent devenir flexibles, et revêtir une forme nouvelle : on les voit croître et s’allonger ; et, prenant une plus douce substance, elles offrent de l’homme une image encore informe et grossière, semblable au marbre sur lequel le ciseau n’a ébauché que les premiers traits d’une figure humaine. Les éléments humides et terrestres de ces pierres deviennent des chairs ; les parties plus solides et qui ne peuvent fléchir se convertissent en os ; ce qui était veine conserve et sa forme et son nom. Ainsi rapidement la puissance des dieux change en hommes les pierres lancées par Deucalion, et en femmes celles que jetait la main de Pyrrha. De là vient cette dureté qui caractérise notre race ; de là sa force pour soutenir les plus rudes travaux ; et l’homme atteste assez quelle fut son origine.


    La prosopagnosie, décrite par Bodamer en 1947, est une altération de la reconnaissance des visages. C'est une agnosie : concept forgé par Freud en 1891, l'agnosie est actuellement définie comme perte liée à une atteinte cérébrale, de la capacité à identifier les stimuli de l’environnement à travers une modalité perceptive donnée, en l’absence de trouble sensoriel ou de détérioration intellectuelle notable ( Eustache & Faure 2005 ).

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    On parle alors d'agnosie perceptive. L'objet - le visage ne sont pas reconnus en l'absence d'altération de l'appareil visuel ; mais la personne est identifiée par le son de sa voix, ses vêtements, son parfum... On distingue les agnosies visuelles et par déduction les prosopagnosies aperceptives, des agnosies visuelles dites tantôt associatives, tantôt sémantiques :
les patients ne reconnaissent pas les objets mais peuvent les décrire, les copier. On les différencie de l'aphasie optique décrite par Freund en 1889 : incapacité à nommer les objets lorsqu'ils sont explorés par la vue mais non par les autres modalités sensorielles.

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corps_visage.jpg magrittesieclelumieres.jpg clefdessonges_magritte.jpg modele_magritte.jpg

René Magritte - Le viol c. 1934
René Magritte - Le siècle-lumière
René Magritte - La trahison des images
René Magritte - L’Evidence Éternelle, 1948

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    Je mentionne la simultagnosie décrite par Wolpert en 1924 : incapacité à identifier une figure complexe alors que les détails sont perçus. Un malade simulagnosique ne peut voir plus d'un objet à la fois.

    Précisons qu'il exite une prosopagnosie sémantique progressive, considérée par certains comme la forme hémisphérique droite de la démence sémantique ; et enfin que l'on reconnait l'existence d'une prosopagnosie congénitale dont l'un des principaux spécialistes est Duchaine 2003.

    Maintenant que nous avons précisé le sens des mots, voyons comment les cognitivistes représentent le cheminement de l'information, depuis la rétine.
Plusieurs modèles ont été construits, celui de Marr, celui d'Humphreys et Riddoch ; ce dernier comporte six niveaux après le traitement sensoriel : l'analyse locale des détails et globale de la forme, la représentation égocentrée, la représentation centrée sur l'objet, la représentation structurale stockée en mémoire, le transfert de cette représentation, et la représentation sémantique. Pour la prosopagnosie, là aussi les modèles ne manquent pas, de Bruce et Young, de Hodges,

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 ( atteinte unilatérale de MT : hemi-akinetopsie )


    Ce découpage en étapes, cette construction, est fondée sur le progrès des connaissances anatomo-fonctionnelles, et l'on peut choisir comme point de départ la publication d'Ungerleider et Mischkin en 1982, démontrant l'existence de deux voies principales de traitement de l'information visuelle, d'une part la voix ancienne dorsale du Where, impliquée dans la localisation, la perception du mouvement, et la préhension d'un objet, d'autre part la voie temporo-inférieure du What, impliquée dans l'identification de l'objet, de ses particularités, de sa couleur, jusqu'à son nom. Treize ans plus tard le schéma de départ s'était sérieusement complexifié.

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    Au passage, je fais remarquer que ce qui est un peu génant, pour ne pas dire horriblement exaspérant, dans ces schémas, c’est que l’on occulte le plus souvent totalement les connexions frontales en particulier du corps genouillé latéral. Voici un schéma qui tient compte de cette structure mais ne fait pas la part des connexions frontales.

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    Précisons enfin que ces 2 systèmes sont différenciés dès la rétine: le Système magnocellulaire qui traite l'information sur les lieux-> Système "où?" ; le Système parvocellulaire qui traite l'information sur les formes--> Système "quoi?". À côté de ces deux systèmes il existe probablement une troisième voie visuelle, qui court-circuite les aires striées. Vision aveugle, blindsight, ou encore vision implicite, désignent une perception inconsciente du mouvement et de variations de luminosité consecutive au traitement de l'information visuelle empruntant la voie colliculaire supérieure, pulvinar, cortex pariétal postérieur, et rendrait compte de capacités d'évitement d'obstacles preservées chez des patients dont les aires striées sont détruites.

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    Des aires corticales spécialisées ont été mises en évidence : voici une vue inférieure du cerveau, cortex occipital et temporal ; l'hémisphère droit est à gauche et vice versa. Sont représentés ici : le LOC, Lateral Occipital Complex, impliqué dans la reconnaissance des choses, la Fusiforme Face Area FFA, la Parahippocampal Place Area, PPA, ces deux dernières plus développées à droite.

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    Vous savez qu'en neurologie quelques patients - ils se compteraient sur les doigts de la main - sont à l'origine de grandes théories, de l'affirmation de principes généralisés à l'ensemble de l'espèce humaine. Tantan, Phineas Gage, et ces quelques patients désignés par leurs initiales, qui parfois comme H.M. ont inspiré des centaines d'articles émanant pour la plupart de la même équipe de chercheurs.

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  L'une de ces patients est D.F., victime d'un accident vasculaire ischémique localisé bilatéral temporal inférieur, touchant les deux complexes latéro-occipitaux, et dont le tableau clinique vient conforter ce modèle : totalement incapable de reconnaître les objets présentés, D.F en revanche témoigne d'aptitudes parfaitement adaptées à la préhension de ces mêmes objets. La fameuse main qui voit chère à Michel Poncet.

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Déjà vu

    Neppe 1983 : « n’importe quelle  impression subjectivement inappropriée de familiarité d’une expérience présente avec un passé indéfini ». L'histoire du déjà vu n'est pas très ancienne, alors qu'il s'agit d'une expérience très banale à l'adolescence : on retient les noms de Hughlings Jackson, avec l'aura épileptique temporale, de Bergson (1859-1941), dans le souvenir du présent et la fausse reconnaissance  Revue philosophique, décembre 1908, repris in L’énergie spirituelle, P.U.F. Paris, 1919, p. 140.

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    Pour Hughlings-Jackson en 1888 : il existe deux variétés de conscience ; l'une, normale, qui gère les informations du monde extérieur ; et l'autre, parasite, qui dirige les pensées et les réflexions du monde mental intérieur. L’altération de l’activité de la  première  laisse le champ libre  à la seconde, une nouvelle expérience est alors vécue comme ancienne. Bergson : perception et mémoire sont des évènements simultanés ; la mémoire n’est jamais postérieure à la formation de la perception ; elle est contemporaine ; étape par étape, comme la perception est créée, la mémoire est projetée derrière comme l’ombre suit le corps.

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    De Nayer 1979 : métaphore du magnétophone : on peut encoder ( record ) ou se remémorer   ( play ) mais jamais les deux à la fois ; sauf dans le déjà vu. Actuellement les schémas évoquent plutôt deux systemes fonctionnant de manière synchrone ( Dual-processing) qui perdent momentanément leur coordination ; ou encore, l'un des deux processus est activité isolément, en l'absence du second.

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    Inversement le jamais-vu est beaucoup plus rare, et n'a fait l'objet que de très rares études. Un stimulus objectivement familier paraît soudain et momentanément non familier : phénomène analogue à l'aliénation : un mot commun semble soudain non familier et rapproché de la satiation sémantique : une présentation massivement répétée d’un mot conduit à sa perte momentanée de signification.

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    Gloor 1990, Gardiner et Parkin 1990, Tulving 1985, Jacoby 1991 : familiarité et récupération de l’information ( souvenir ) sont deux fonctions cognitives différentes qui opèrent en général de conserve, et de manière exceptionnelle indépendamment :

- familiarité sans souvenir : déjà-vu
- souvenir sans familiarité : jamais-vu

    Neurologiques : dysfonctionnement bref du système nerveux impliquant soit une courte crise soit une altération du timing normal de la transmission neuronale
Crise : Penfield 1955, Stevens 1990. La stimulation de l’amygdale, de l’hippocampe, chez les épileptiques temporaux peut provoquer une expérience de déjà-vu Délai modifié : les individus interprètent l’information plus rapidement si elle a déjà fait l’objet d’une expérience : un traitement plus long impliquerait que l’information est nouvelle, non ancienne ++++,
Mémoire : quelques aspects de la présentation actuelle sont objectivement familiers mais la source de la familiarité a été oubliée
Osborn 1884 : les individus travaillent une quantité considérable d’information sans y prêter une attention complète ; traiter à nouveau ces informations mais de manière consciente peut provoquer une sensation de familiarité subjective
Attention : une perception initiale sous distraction est suivie immédiatement par une seconde perception en pleine attention

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Délires d’identification

Trois niveaux de délire d’interprétation des délires d’identification

I occipito temporal postérieur et inférieur
II temporal antérieur et supéro-interne
III temporo-frontal


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Ixion et Junon

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Pierre-Paul Rubens (1577-1640) Ixion et Junon 1615 171x245 Musée du Louvre


    Ixion épouse Dia, la fille du roi Déionée auquel il a promis de nombreux présents ; mais sitôt après la noce, il précipite son beau-père dans une fosse pleine de charbons ardents. Pour une raison obscure, Zeus lui pardonne ce crime doublement odieux. Mais Ixion poursuit de ses assiduités l’épouse de Zeus, Héra, qui use d’un stratagème : elle façonne une nuée à son image. De l’union de celle-ci et d’Ixion naitra Centauros, le père des Centaures. Zeus furieux fait attacher Ixion à une roue enflammée tournant sans cesse et l’expédie dans le Tartare.

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Cornelis Cornelisz van Harlem (1562-1638) Ixion précipité aux enfers 1588 Rotterdam

    Pindare, dans les Pythiques, expose une version un peu différente : ayant compris le manège d’Ixion, Zeus lui-même imprima au nuage la forme d'Héra. De cette union fantômatique naquirent les Centaures.

    Rapidement entraîné sur la roue à laquelle l'a fixé l'ordre des dieux, Ixion ne crie-t-il pas aux mortels qu'ils aient à payer la bienfaisance d'un juste retour. Une funeste expérience l'a instruit de ce devoir. Admis par la bonté des fils de Saturne à couler auprès d'eux des jours délicieux, il ne put longtemps soutenir l'excès de son bonheur, il conçut dans son aveugle délire une furieuse passion pour Junon, que la couche du grand Jupiter est seule digne de recevoir. Mais son orgueilleuse audace le précipita dans un abîme de maux; doublement coupable, et lorsque vivant sur la terre, il se souilla le premier du sang de son beau-père, et lorsque, dans l'enceinte du sacré palais, il osa attenter à la pudeur de Junon, l'épouse du puissant Jupiter. Un supplice inouï devint bientôt le juste châtiment de ses crimes. Mortels, apprenez ainsi à ne jamais former des voeux au-dessus de votre faible nature.
Ixion, pour assouvir sa passion sacrilège, se précipita dans l'excès du malheur, aveugle qu'il était, il n'avait embrassé qu'un nuage, et son amour trompé s'était enivré de ce doux mensonge ! La nue, brillant fantôme, pour l'entraîner à sa perte, avait pris sous la main de Jupiter la forme de la céleste fille de Saturne. Alors le maître des dieux l'attacha à celle roue... Ses membres y sont à jamais serrés par d'invincibles noeuds, et ses tortures, hélas ! trop célèbres attestent à la terre la vengeance des Immortels. 
Cependant la nue, mère unique de son espèce, conçut, sans l'assistance des Grâces, un fruit unique aussi dans la sienne ; sa nourrice le nomma Centaure ; monstre également étranger aux formes humaines et aux attributs de la divinité, il courut dans les vallées du Pélion perpétuer sa race en s'accouplant avec les cavales de la Thessalie. C'est de cette union qu'est née la race extraordinaire des Centaures, participant à la forme de leur père et de leur mère, hommes jusqu'à la ceinture, et chevaux dans la partie inférieure du corps.  ( Pindare, Pythiques, II v. 27-34 )

    Le tableau met en scène les deux Junon, l’eidola parfaitement crédible en compagnie d’Ixion à gauche, la vraie flanquée de son paon à droite regardant en coin le couple alangui. Jupiter observe leur manège de loin, méditant sa vengeance. Iris, le renard de la Tromperie jeté sur l’épaule, sous un arc-en-ciel plus pâlichon que rubénien assiste sa maîtresse, détournant le regard comme Cupidon.
   
    Aneta Georgievska-Shine y voit l’illustration délibérée d’un dialogue de Plutarque, de Amatorius, traitant de l’amour céleste et de l’amour terrestre, tels que les oppose la théorie platonicienne. Allégorie de la tromperie des sens, en particulier de la vision, Ixion trompé par Junon complèterait Junon et Argus peinte en 1611. Le jeu de Rubens consisterait à établir un parallèle entre l’illusion dont Ixion est victime, croyant embrasser Junon alors qu’il enlace son double nuageux, et celle du spectateur qui imagine que l’arc-en-ciel est effectivement situé dans le nuage. Mais pour les contemporains instruits de Rubens, l’arc-en-ciel est un reflet du soleil sur une nuée ou sur les exhalaisons aristotéliciennes émanant du sol. Une illusion. Ils n’ont pas accès en dépit des précurseurs de Snell et de Descartes – Della Porta, de Dominis - à une conception de l’arc fondée sur la réfraction. C’est au titre de leurre démasqué qu’il fera partie du dictionnaire de la préciosité. Tout comme le paon, l’une des figures emblématiques de l’âge Baroque selon Rousset, symbolise l’ostentation, le paraître, le trompe-l’œil, le mirage. Soit les choses ne sont pas ce qu’elles semblent, soit elles se transforment, ainsi les chante Ovide, source inépuisable d’inspiration. L’arc-en-ciel est un paon céleste, le col du Paon est un arc-en-ciel. L’alchimie renforce cette identification, et la peinture sous les pinceaux de Rubens.
   
    Notre interprétation tient compte essentiellement des procédés rhétoriques : l’artiste baroque entre autres desseins tente de saisir le mouvement même d’une action en cours, de créer l’illusion du mouvement comme une variété de trompe-l’œil, ou de trompe-l’esprit. La chute d’Ixion est un exemple de tremblement, d’oscillation intellectuelle provoquée par une image : Junon et son double, Junon et Iris représentée par sa synecdoque l’arc-en-ciel.
   
    La fonction de ce dernier, dans les deux œuvres complémentaires que sont Ixion et Junon et Argus, est d’introduire dans le tableau même la notion de reflet, d’image virtuelle. Introduire la coexistence d’un être posé comme réel et de son reflet – Junon et son double – est un procédé qui confère de la consistance au sujet peint posé comme réel. Dans Junon et Argus le paon et l’arc-en-ciel sont juxtaposés, métaphores réciproques, dans une mise en scène qui concatène le regard et le toucher : les yeux d’Argus sont posés sur les plumes du paon, et des ocelles jaillit l’arc-en-ciel.

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Conclusion

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    Un coup de chapeau à René Magritte qui nous a tenu compagnie tout au long de cet exposé. J'ai profité en quelque sorte de l'occasion pour vous infliger une série de ses oeuvres mais je pense toutefois que vous conviendrez qu'il s'agit d'un peintre éminemment neurologique.


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    Voici pour finir le Thérapeute , et quelques commentaires de Magritte lui-même sur la Durée poignardée : vous remarquerez certainement comme moi la référence immédiate à la notion de familiarité.

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  Que l'on suive le modèle des voies parallèles corticales, ou cortico-sous-corticales, dans les deux cas les shémas cognitivistes pérennisent l'idée d'un cerveau auquel il arrive des choses, des évènements, et qui réagis de manière plus ou moins adaptée en fonction de l'intégrité de ses réseaux. Un cerveau qui représente le monde, un cerveau qui fonctionne subordonné à l'environnement. Je suis absolument allergique à cette conception d'un cerveau miroir du monde, et celà fait quarante années que je me sens en porte à faux avec

Débat entre
 
 Single process model : familiarity is a “weaker form of recollection”

 Dual process model : distinct processes of familiarity and recollection

Atteinte de la familiarité sans atteinte de l’identification : reduplicative paramnesia
Activation de la familiarité sans identification mnésique : déjà vu

    Récemment les préceptes de la neuropsychologie cognitive sont devcnus prévalant. Les modèles de reconnaissance des visages, tel celui de Bruce et Young (1986), suggèrent qu'il y a trois étapes dans ce processus. Dans deux d'entre elles pourrait résider l'origine de l'illusion d'intermétamorphose (stade URV), et de l'illusion de Frégoli (stade NID) mais le syndrome de Capgras ne peut pas s'y intégrer facilement. Ellis et Young (1990) ont introduit la notion d'une réponse émotionnelle aux visages connus se traduisant par une réaction neurovégétative Ils ont suggéré qu'il existait, dans le syndrome de Capgras, une disjonction de cette voie émotionnelle. Des tests expérimentaux issus de cette hypothèse fournissent des arguments confirmatifs tandis que d'autres épreuves, avec des patients présentant le syndrome de Capgras, ont permis d'approfondir notre compréhension de la reconnaissance des visages.

Syndrome de Capgras = illusion des sosies : ne se laisse pas expliquer par le schéma de Bruce et Young ; hypothèse de Ellis.
Le patient croit qu’un proche a été remplacé par un double qui aurait une grande ressemblance avec lui.
Rare et plus fréquent chez la femme.
L’imposteur est souvent le conjoint du patient ou un proche, à l’égard duquel le patient peut se montrer agressif (dangerosité à évaluer).

Mécanisme hypothétique : dysconnexion entre les deux systèmes traitant les informations faciales (l’un traitant les informations sémantiques du visage observé et l’autre traitant les informations émotionnelles) entraînant une perte du sentiment de familiarité alors que la récollection est maintenue (Archer et coll, 1992)

Contexte étiologique :
schizophrénie
anomalie cérébrale organique (démence, traumatisme crânien, accident vasculaire) touchant préférentiellement l’hémisphère droit, qui joue un rôle prépondérant dans la reconnaissance des visages

  Deux reconnaissances : la reconnaissance implicite, inconsciente, émotionnelle, très rapide, sous-corticale, amygdalienne ; la reconnaissance explicite, consciente, intellectuelle, moins rapide, corticale, hippocampique.

  
voir le site malperception

Date de création : 30/05/2008 : 08:54
Dernière modification : 27/06/2010 : 14:31
Catégorie : Conférences
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